Esclavage mod­erne et tra­vail dĂ©cent — 9 JUIN 2021

 

Rejoignez-nous pour mieux com­pren­dre le phĂ©nomĂšne crois­sant de l’esclavage mod­erne, Ă  tra­vers les per­spec­tives croisĂ©es d’un Ă©con­o­miste, le pro­fesseur Marc Ches­ney, d’une experte en assis­tance aux vic­times, Cristi­na Duran­ti, et d’un spé­cial­iste de la chaĂźne d’ap­pro­vi­sion­nement, Bri­an Iselin, d’un reprĂ©sen­tant de la sec­tion Migrants & RĂ©fugiĂ©s — DĂ©veloppe­ment humain inté­gral du Vat­i­can, Andrea March­esani, et d’un psy­cho­logue, le Dr Gabriele Spina, qui aide les migrants et les jeunes qui tra­vail­lent dans une Ă©conomie hyper­con­cur­ren­tielle qui fonc­tionne trop sou­vent avec des emplois sous-payĂ©s. Comme l’ont dĂ©mon­trĂ© nos prĂ©cé­dents sĂ©mi­naires, une nou­velle approche basĂ©e sur la demande de biens et ser­vices liĂ©s Ă  la traite des ĂȘtres humains devrait ĂȘtre dĂ©velop­pĂ©e par tous les acteurs, les gou­verne­ments, pour rĂ©duire et Ă©radi­quer l’esclavage moderne.

 

  • Dis­cours d’ou­ver­ture du Pro­fesseur Michel Veuthey, Ambas­sadeur de l’Or­dre Sou­verain de Malte pour le suivi et la lutte con­tre la traite des personnes
  • SƓur Mir­jam Beike, RGS, mod­éra­trice, reprĂ©sen­tante auprĂšs de l’ONU Ă  GenĂšve pour les SƓurs de Notre-Dame de Char­itĂ© du Bon Pas­teur. Elle a tra­vail­lĂ© pen­dant 30 ans avec des sur­vivants de la traite des ĂȘtres humains en Alle­magne et en Albanie.
  • Bri­an Iselin, fon­da­teur de SLAVE FREE TRADE, sur­veille les chaĂźnes d’ap­pro­vi­sion­nement et crĂ©e des out­ils pour respon­s­abilis­er les consommateurs.
  • Cristi­na Duran­ti, direc­trice de GSIF Good Shep­herd Inter­na­tion­al Foun­da­tion qui a rem­portĂ© le prix Stop Slav­ery de la Fon­da­tion Thom­son Reuters pour son tra­vail de lutte con­tre l’ex­ploita­tion des enfants for­cĂ©s Ă  tra­vailler dans les mines en RD Congo.
  • Andrea March­esani, con­seiller spé­cial de l’Or­dre de Malte, mem­bre de la sec­tion des migrants et des rĂ©fugiĂ©s et du dĂ©parte­ment du dĂ©veloppe­ment humain inté­gral du Saint-SiĂšge.
  • Gabriele Spina, psy­cho­logue, chef de pro­jet pour le Con­sor­tium Il Nodo Ă  Catane en Ital­ie, en charge de la pro­tec­tion de la jeunesse et des migrants.
  • Marc Ches­ney, Chef du DĂ©parte­ment de Banque et Finance et du Cen­tre de Com­pé­tence en Finance Durable de l’U­ni­ver­sitĂ© de ZĂŒrich (Suisse), aprĂšs avoir Ă©tĂ© doyen asso­ciĂ© de HEC Paris, auteur de “The Per­ma­nent Cri­sis : The Finan­cial Oli­garchy and the Fail­ure of Democ­ra­cy”, il dĂ©veloppe depuis de nom­breuses annĂ©es une analyse cri­tique du secteur financier et de ses con­sĂ©quences sur l’é­conomie rĂ©elle et les con­di­tions de travail.

 

TRANSCRIPTION

MICHEL VEUTHEY : Bien­v­enue Ă  notre webi­naire sur l’esclavage mod­erne et le tra­vail dĂ©cent.  Depuis octo­bre dernier, nous avons organ­isĂ© 12 webi­naires sur la traite des ĂȘtres humains Ă  la lumiĂšre des ency­cliques Lauda­to Si’ et Fratel­li Tut­ti.  Per­me­t­tez-moi de vous mon­tr­er deux cita­tions de ces ency­cliques.  Tout d’abord, Lauda­to Si’, et vous voyez, “Tout effort pour pro­tĂ©ger et amĂ©lior­er notre monde implique des change­ments pro­fonds dans les styles de vie, les mod­Úles de pro­duc­tion et de con­som­ma­tion, et les struc­tures de pou­voir Ă©tablies qui gou­ver­nent les sociĂ©tĂ©s d’au­jour­d’hui.  Le dĂ©veloppe­ment humain authen­tique a un car­ac­tĂšre moral.  Il sup­pose le plein respect de la per­son­ne humaine”, et ensuite, de dire que “Ces prob­lĂšmes sont Ă©troite­ment liĂ©s Ă  une cul­ture du jetable qui affecte les exclus tout comme elle rĂ©duit rapi­de­ment les choses”, et j’a­jouterais les per­son­nes, “à des dĂ©chets”.  Et Fratel­li Tut­ti, et vous voyez ici aus­si une cita­tion, para­graphe 24, “La traite des per­son­nes et les autres formes con­tem­po­raines d’esclavage sont un prob­lĂšme mon­di­al qui doit ĂȘtre pris au sĂ©rieux par l’hu­man­itĂ© dans son ensem­ble : puisque les organ­i­sa­tions crim­inelles utilisent des rĂ©seaux mon­di­aux pour attein­dre leurs objec­tifs, les efforts pour Ă©lim­in­er ce phĂ©nomĂšne exi­gent Ă©gale­ment un effort com­mun et, en fait, mon­di­al de la part des dif­fĂ©rents secteurs de la sociĂ©tĂ©.  Et en fait, depuis octo­bre, nous avons organ­isĂ© 12 webi­naires.  Et dans nos 12 webi­naires, nous avons soulignĂ© l’im­por­tance du tra­vail des con­gré­ga­tions religieuses dans la dĂ©fense et l’as­sis­tance aux vic­times et aux sur­vivants de la traite des ĂȘtres humains, au niveau local et inter­na­tion­al.  Nous avons dis­cutĂ© du trau­ma­tisme infligĂ© aux vic­times et de la maniĂšre de le gĂ©r­er avec les pro­fes­sion­nels.  Nous avons exam­inĂ© les approches juridiques et pĂ©nales de la traite des ĂȘtres humains, com­pris les lim­ites des pour­suites pĂ©nales, et soulignĂ© la nĂ©ces­sitĂ© de dĂ©velop­per un cadre juridique pour rĂ©pon­dre Ă  la demande de biens et de ser­vices pro­duits par le tra­vail esclave.  Nous avons dĂ©crit des solu­tions telles que le mod­Úle nordique, et la nĂ©ces­sitĂ© d’aider les femmes Ă  Ă©chap­per Ă  la pros­ti­tu­tion, de pour­suiv­re les prox­énĂštes, les “Johns”, mais pas les pros­ti­tuĂ©es.  Nous avons dis­cutĂ© du rĂŽle des con­som­ma­teurs, de la maniĂšre de les Ă©du­quer et d’en­cour­ager les pro­duc­teurs Ă  con­trĂŽler stricte­ment leurs chaĂźnes d’ap­pro­vi­sion­nement.  Nous avons enten­du des tĂ©moins sur le rĂŽle de la tech­nolo­gie qui facilite la traite des per­son­nes, sur la tech­nolo­gie util­isĂ©e Ă  mau­vais escient par les trafi­quants d’ĂȘtres humains Ă  toutes les Ă©tapes du crime, y com­pris le recrute­ment, le con­trĂŽle et l’ex­ploita­tion des vic­times, ain­si que sur la tech­nolo­gie util­isĂ©e pour prĂ©venir et com­bat­tre la traite des per­son­nes.  L’esclavage mod­erne, qui est le con­traire du tra­vail dĂ©cent, est en aug­men­ta­tion.  Presque tout ce que nous con­som­mons, des vĂȘte­ments aux piles de nos tĂ©lé­phones porta­bles, en pas­sant par le pois­son que nous man­geons, com­porte une part de tra­vail for­cĂ© et d’ex­ploita­tion cachĂ©e dans sa pro­duc­tion.  Beau­coup d’en­tre nous, y com­pris les entre­pris­es qui fab­riquent les pro­duits que nous achetons, n’ont aucune idĂ©e du moment ou de l’en­droit oĂč l’ex­ploita­tion a lieu, et elle aug­mente chaque jour.  Env­i­ron 45,8 mil­lions de per­son­nes vivent aujour­d’hui dans des con­di­tions proches de l’esclavage.  C’est plus que la pop­u­la­tion de la Cal­i­fornie, du Cana­da ou de l’Ar­gen­tine.  Tous les pays du monde sont con­cernĂ©s.  Et plus de 150 mil­liards de dol­lars de bĂ©né­fices sont gĂ©nĂ©rĂ©s chaque annĂ©e par des entre­pris­es qui emploient l’esclavage et l’ex­ploita­tion.  C’est plus que les revenus de Google, Microsoft, Apple, Exxon Mobil et JPMor­gan Chase rĂ©u­nis.  Aujour­d’hui, nous dis­cuterons de ce flĂ©au de notre Ă©poque avec des experts.  L’a­gri­cul­ture four­nit des emplois Ă  plus d’un mil­liard de per­son­nes dans le monde. Pour­tant, des mil­lions d’a­gricul­teurs et de tra­vailleurs agri­coles ne gag­nent pas assez pour pay­er leurs besoins essen­tiels tels qu’une ali­men­ta­tion dĂ©cente, un loge­ment et une Ă©du­ca­tion, et encore moins pour Ă©pargn­er en cas de revers inat­ten­dus ou pour une retraite digne.  70 %, 70 % des plus de 152 mil­lions d’en­fants qui tra­vail­lent tra­vail­lent le font dans l’a­gri­cul­ture.  La course aux prix les plus bas, notam­ment pour le cafĂ©, le cacao et les bananes, sig­ni­fie que le risque d’ex­ploita­tion des enfants et des adultes s’ag­grave.  Par con­sĂ©quent, les jeunes quit­tent en masse les com­mu­nautĂ©s agri­coles, pour se retrou­ver sou­vent dans des emplois informels et pré­caires dans les villes ou dans de plus grandes exploita­tions.  (
) Cette annĂ©e, la JournĂ©e mon­di­ale con­tre le tra­vail des enfants est axĂ©e sur les mesures pris­es en vue de l’An­nĂ©e inter­na­tionale pour l’abo­li­tion du tra­vail des enfants (2021).  Il s’ag­it de la pre­miĂšre JournĂ©e mon­di­ale depuis la rat­i­fi­ca­tion uni­verselle de la Con­ven­tion 182 de l’OIT sur les pires formes de tra­vail des enfants.  Elle a lieu Ă  un moment oĂč la crise du COVID-19 men­ace d’an­nuler des annĂ©es de pro­grĂšs dans la lutte con­tre ce prob­lĂšme.  Selon l’OIT, Organ­i­sa­tion inter­na­tionale du tra­vail, le tra­vail dĂ©cent est un tra­vail pro­duc­tif pour les femmes et les hommes dans des con­di­tions de lib­ertĂ©, d’équitĂ©, de sĂ©cu­ritĂ© et de dig­nitĂ© humaine.  En gĂ©nĂ©ral, un tra­vail est con­sid­érĂ© comme dĂ©cent lorsque : 1. il pro­cure un revenu Ă©quitable.  2. Il garan­tit une forme d’emploi sĂ»re et des con­di­tions de tra­vail sĂ»res.  3. Il assure l’é­gal­itĂ© des chances et de traite­ment pour tous.  4. Il com­prend une pro­tec­tion sociale pour les tra­vailleurs et leurs familles.  5. Elle offre des per­spec­tives de dĂ©veloppe­ment per­son­nel et favorise l’in­té­gra­tion sociale.  Et 6. Les tra­vailleurs sont libres d’ex­primer leurs prĂ©oc­cu­pa­tions et de s’or­gan­is­er.  Et pour cer­tains d’en­tre nous, le tra­vail dĂ©cent rĂ©sume les aspi­ra­tions des per­son­nes dans leur vie pro­fes­sion­nelle.  Et l’emploi pro­duc­tif et le tra­vail dĂ©cent sont des Ă©lé­ments clĂ©s pour par­venir Ă  une mon­di­al­i­sa­tion Ă©quitable et Ă  une rĂ©duc­tion de la pau­vretĂ©.  Et main­tenant, per­me­t­tez-moi de remerci­er les ora­teurs d’au­jour­d’hui.  Le pre­mier sera Bri­an Iselin, sur la nĂ©ces­sitĂ© de vĂ©ri­fi­er les chaĂźnes d’ap­pro­vi­sion­nement afin de rĂ©duire et de se dĂ©bar­rass­er du tra­vail esclave.  Deux­iĂšme­ment, Cristi­na Duran­ti, qui par­lera de son expĂ©ri­ence en matiĂšre de prĂ©ven­tion et de lutte con­tre l’ex­ploita­tion des enfants for­cĂ©s de tra­vailler dans les mines en Afrique et ailleurs.  TroisiĂšme­ment, Andrea March­esani, qui par­lera de l’en­seigne­ment social de l’Église catholique sur le tra­vail dĂ©cent et l’esclavage mod­erne, sur la base des Ori­en­ta­tions pas­torales.  Puis Gabriele Spina, qui aide les migrants en Ital­ie Ă  Ă©chap­per au tra­vail esclave et les forme Ă  s’in­té­gr­er vers un tra­vail dĂ©cent.  Le dernier inter­venant, le Pro­fesseur Marc Ches­ney, qui enseigne la finance Ă  l’U­ni­ver­sitĂ© de ZĂŒrich en Suisse, aura une vision plus large du sys­tĂšme Ă©conomique actuel, qui con­duit trop sou­vent Ă  saper l’é­conomie rĂ©elle et le tra­vail dĂ©cent.  Alors mer­ci Ă  tous, et juste un mot, vous trou­verez des doc­u­ments, dont le rap­port de l’OIT, de l’U­NICEF et d’autres doc­u­ments dans les “hand­outs” de ce webi­naire.  N’hĂ©sitez pas Ă  les tĂ©lĂ©charg­er et Ă  les partager.  Et je voudrais Ă©gale­ment remerci­er SƓur Mir­jam Beike, co-organ­isatrice de ce webi­naire, reprĂ©sen­tante Ă  l’ONU Ă  GenĂšve pour les SƓurs de Notre Dame de la Char­itĂ© du Bon Pas­teur, qui a tra­vail­lĂ© pen­dant 30 ans avec des sur­vivants de la traite en Alle­magne et en Alban­ie, et qui va main­tenant pren­dre le relais en tant que mod­éra­trice de ce webi­naire.  Mir­jam, vous avez la parole. Merci.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci beau­coup, Michel. Nous allons donc com­mencer ce webi­naire. Et je donne la parole Ă  Bri­an pour qu’il fasse une intro­duc­tion et explique davan­tage de quoi il s’ag­it.  Beau­coup d’en­tre vous le con­nais­sent dĂ©jĂ .  C’est un ancien sol­dat aus­tralien et agent fĂ©dĂ©ral, fon­da­teur de Slave­free­trade, une organ­i­sa­tion Ă  but non lucratif basĂ©e Ă  GenĂšve qui s’ef­force de tir­er par­ti de la puis­sance de la blockchain pour dĂ©bar­rass­er le monde du tra­vail for­cĂ©.  Bri­an, vous avez la parole.

 

BRIAN ISELIN : Mer­ci beau­coup de me recevoir Ă  nou­veau, SƓur Mir­jam et Michel.  J’e­spĂšre que tout le monde peut bien m’en­ten­dre.  Comme l’a dit sƓur Mir­jam, dans ma vie antĂ©rieure, j’ai Ă©tĂ© sol­dat et agent fĂ©dĂ©ral.  Je me suis spé­cial­isĂ© dans la lutte con­tre le crime organ­isĂ© et le con­tre-espi­onnage pen­dant 19 ans.  Et puis pen­dant les 19 derniĂšres annĂ©es, ma vie a Ă©tĂ© plus longue que je n’en ai l’air, n’est-ce pas ?  Je me suis spé­cial­isĂ© dans la con­duite d’opĂ©ra­tions con­tre l’esclavage dans le monde entier.  Et pen­dant tout ce temps, j’ai appris une chose qui est trĂšs, trĂšs impor­tante, c’est de dĂ©ter­min­er rapi­de­ment ce qui est et de rester con­cen­trĂ© sur le prob­lĂšme rĂ©el, pas les prob­lĂšmes perçus, mais le prob­lĂšme rĂ©el.  Lais­sez-moi vous expli­quer, du point de vue de la traite des ĂȘtres humains, de l’esclavage mod­erne et de la jus­tice pĂ©nale, que lorsque vous ĂȘtes con­fron­tĂ© Ă  quelqu’un qui a un couteau et une mau­vaise atti­tude envers vous, le prob­lĂšme n’est pas le couteau dans la main.  Le vrai prob­lĂšme est le gars der­riĂšre.  Le couteau devient en fait une dis­trac­tion et non le prob­lĂšme, car je peux neu­tralis­er le couteau, mais le type der­riĂšre sera tou­jours lĂ , tout comme la mau­vaise atti­tude, ce qui sig­ni­fie qu’il cherchera sim­ple­ment un autre moyen de faire ce qu’il allait faire de toute façon.  C’est ce qu’on appelle l’ef­fet de dĂ©place­ment, et cela sig­ni­fie que le prob­lĂšme est traitĂ© mais pas guĂ©ri, et c’est exacte­ment ce que nous faisons et ce que nous faisons depuis des dĂ©cen­nies sur l’esclavage mod­erne et la traite des ĂȘtres humains.  Nous par­lons donc de dura­bil­itĂ© dans les affaires, et Ă©tant don­nĂ© cette analo­gie avec le couteau, par­lons un instant de ce qui est rĂ©elle­ment le prob­lĂšme auquel nous sommes tous con­fron­tĂ©s ici.  Ce n’est pas la pau­vretĂ©, ce ne sont pas les abus sex­uels, ce n’est pas le genre, ce n’est pas le chέmage, la migra­tion, qu’elle soit doc­u­men­tĂ©e ou non.  Le prob­lĂšme auquel nous sommes con­fron­tĂ©s est celui d’une per­son­ne qui fait le choix moral et Ă©conomique d’ex­ploiter le tra­vail d’une autre per­son­ne.  C’est l’essence mĂȘme de ce dont nous par­lons lorsque nous par­lons du cĂŽtĂ© de la demande de l’équa­tion : quelqu’un qui prend une dĂ©ci­sion prĂ©mĂ©ditĂ©e ou oppor­tuniste d’ex­ploiter le tra­vail d’une autre per­son­ne et, ce faisant, la prive du tra­vail dĂ©cent que Michel dĂ©crivait prĂ©cĂ©dem­ment.  Or, c’est la per­son­ne Ă  l’o­rig­ine de cette dĂ©ci­sion, celle qui se trou­ve der­riĂšre ce couteau, que nous exam­inons lorsque nous essayons d’abor­der la ques­tion de la demande.  Il faut savoir que plus de 98 % des dĂ©pens­es mon­di­ales con­sacrĂ©es Ă  l’esclavage mod­erne sont con­sacrĂ©es Ă  l’of­fre, c’est-Ă -dire au dĂ©place­ment des per­son­nes.  Le prob­lĂšme pour quiconque s’at­taque Ă  l’esclavage mod­erne est donc de savoir com­ment pren­dre en compte les hommes d’af­faires qui ne trou­vent pas de place pour le bien intrin­sĂšque dans leurs affaires et qui vio­lent les droits de l’homme parce que cela ne nuit pas Ă  leurs affaires.  C’est ain­si que j’ai crĂ©Ă© Slave­free­trade il y a qua­tre ans.  NĂ©, dis­ons, de la frus­tra­tion et de l’inu­til­itĂ© aprĂšs des annĂ©es passĂ©es Ă  dĂ©sarmer les gens, pour les voir recom­mencer encore et encore, je me suis dit que c’é­tait mal.  Nous avons besoin d’une rĂ©ponse sys­tĂ©mique Ă  ce prob­lĂšme sys­tĂ©mique.  Et donc, attaquons-nous au prob­lĂšme rĂ©el au lieu de nous con­tenter de trac­er et de dĂ©plac­er.  Voyons si nous pou­vons inve­stir dans un remĂšde.  Main­tenant, il est trĂšs impor­tant de se rap­pel­er que les esclavagistes et les exploiteurs ne sont pas tous des durs Ă  cuire.  J’en ai ren­con­trĂ© beau­coup au fil des ans.  Ils ne sont pas tous des rat­bags com­plets.  Beau­coup d’en­tre eux sont juste des util­isa­teurs oppor­tunistes de per­son­nes comme une grande par­tie de la pop­u­la­tion mon­di­ale.  Regar­dons les choses en face.  Cer­tains d’en­tre vous trou­veront ce point de vue cynique, mais nos solu­tions ne peu­vent pas ĂȘtre justes, ou ne peu­vent pas ĂȘtre rĂ©elle­ment axĂ©es sur le bien intrin­sĂšque.  Cela doit tou­jours se rĂ©sumer Ă  l’ar­gent.  Nous pou­vons don­ner Ă  ces esclavagistes et exploiteurs un meilleur endroit oĂč ĂȘtre, mais en fait, il faut que ce soit un meilleur marchĂ© oĂč ĂȘtre.  Il faut qu’ils aient envie d’y aller pour des raisons com­mer­ciales et d’au­to-moti­va­tion.  Cela sig­ni­fie donc qu’il faut adopter une toute nou­velle façon de penser l’esclavage mod­erne, recon­cep­tu­alis­er les droits de l’homme sur les lieux de tra­vail et con­stru­ire un nou­veau mod­Úle Ă©conomique qui avan­tage votre entre­prise si vous respectez les droits de l’homme.  Mais la ques­tion cen­trale que je me suis posĂ©e en crĂ©ant Slave­free­trade Ă©tait de savoir com­ment ren­dre le respect du tra­vail dĂ©cent payant.  Et Ă  quoi ressem­blerait un marchĂ© dans lequel vous ne pour­riez pas par­ticiper si vous n’ĂȘtes pas prĂȘt Ă  le faire ?  Mais pour garan­tir un tra­vail dĂ©cent sur un plus grand nom­bre de lieux de tra­vail dans le monde, nous devons crĂ©er ce mod­Úle Ă©conomique qui dit que votre per­for­mance en matiĂšre de droits de l’homme n’est pas par­al­lĂšle, elle ne fait pas par­tie d’un triple rĂ©sul­tat.  Il s’ag­it d’une par­tie inté­grante de vos rĂ©sul­tats, ce qui revient Ă  faire jouer les forces du marchĂ© pour ren­forcer les bons com­porte­ments.  Et il est clair que nous ne par­lons pas d’un petit exer­ci­ce.  Comme Michel l’a indiquĂ© prĂ©cĂ©dem­ment, nous par­lons de dizaines, de cen­taines de mil­lions d’en­fants soumis au tra­vail des enfants et d’adultes soumis au tra­vail for­cĂ©.  GrĂące au COVID, je pense que nous avons tous pris con­science de la frĂ©quence Ă  laque­lle nous tou­chons notre vis­age dans une journĂ©e, mais en fait, nous tou­chons l’esclavage plus sou­vent que nous ne tou­chons notre vis­age dans une journĂ©e.  De votre tasse de cafĂ© du matin aux iPhones, en pas­sant par les sham­poo­ings et le mas­cara, lorsque vous pensez Ă  COVID et au fait de touch­er votre vis­age, c’est une image trĂšs puis­sante pour rĂ©alis­er Ă  quel point vous touchez l’esclavage.  J’ai trĂšs vite rĂ©al­isĂ©, en essayant de met­tre en place un tel sys­tĂšme, que nous devions ĂȘtre en mesure d’évoluer mas­sive­ment, ce qui sig­ni­fie que nous devons ĂȘtre en mesure d’au­toma­tis­er Ă  nou­veau mas­sive­ment, et donc de recourir Ă  la tech­nolo­gie.  Tous les sys­tĂšmes d’au­dit et de cer­ti­fi­ca­tion dans le monde, comme Fair­Trade, par exem­ple, se sont heurtĂ©s Ă  cette bar­riĂšre.  Si vous ne pou­vez pas automa­tis­er, vous ne pou­vez pas Ă©voluer.  Si vous ne pou­vez pas chang­er d’échelle, vous ne pour­rez jamais vous approcher, mĂȘme au radar, de la rĂ©so­lu­tion d’un prob­lĂšme de cette ampleur.  Ce que nous devons faire, c’est arrĂȘter de nous con­cen­tr­er sur le nĂ©gatif. Slave­free­trade est une approche com­plĂšte­ment pos­i­tiviste.  Nous devons cess­er de nous mĂȘler de ce qui se passe Ă  l’ex­trĂ©mitĂ© obscure du spec­tre des droits de l’homme, parce que la seule façon de dĂ©tecter ce qui se passe Ă  la pire extrĂ©mitĂ© est que des gens comme moi par­tent enquĂȘter.  Et cela a un rĂŽle Ă  jouer.  Mais cela ne pour­ra jamais ĂȘtre automa­tisĂ© et ne pour­ra jamais ĂȘtre Ă©ten­du.  Donc, il y aura tou­jours de trĂšs petites choses.  Et il suf­fit de regarder le nom­bre de pour­suites engagĂ©es dans le monde en matiĂšre de traite des ĂȘtres humains pour se ren­dre compte que ce n’est pas grand-chose.  Pensez donc de la maniĂšre suiv­ante : les droits de l’homme sur les lieux de tra­vail, Ă  l’échelle mon­di­ale, uni­verselle, exis­tent sur un spec­tre.  Alors que se passe-t-il si nous changeons d’ob­jec­tif, si nous lev­ons le regard au lieu de le porter sur l’ex­trĂ©mitĂ© som­bre du spec­tre en cher­chant Ă  guĂ©rir plutĂŽt qu’à traiter ?  À quoi ressem­blerait un pro­gramme de vac­ci­na­tion mon­di­al ?  Les droits de l’homme sur le lieu de tra­vail se situent sur ce mĂȘme spec­tre. À l’une des extrĂ©mitĂ©s du spec­tre se trou­ve cette mare obscure appelĂ©e esclavage mod­erne, et puis cette recon­cep­tu­al­i­sa­tion, ce nou­veau regard sur les droits de l’homme et l’esclavage mod­erne.  Vous pou­vez oubli­er pour l’in­stant toutes les dĂ©f­i­ni­tions juridiques qui le com­posent.  Vous n’avez pas besoin, Ă  titre per­son­nel, d’ĂȘtre capa­ble de faire une dis­tinc­tion juridique entre le tra­vail for­cĂ© et la traite des ĂȘtres humains.  C’est un ter­ri­er de lapin dans lequel beau­coup de gens s’en­fer­ment.  Cela ne fait que peu ou pas de dif­fĂ©rence pour la vic­time et cela ne fait que peu ou pas de dif­fĂ©rence si nous par­lons de dĂ©plac­er notre atten­tion, d’élever notre atten­tion vers l’ex­trĂ©mitĂ© pos­i­tive du spec­tre.  La piscine trou­ble et fĂ©tide du fond est car­ac­tĂ©risĂ©e par un faible respect des droits de l’homme, soit quelques droits extrĂȘme­ment Ă©rodĂ©s, soit beau­coup d’en­tre eux pour­raient l’ĂȘtre.  Dans tous les cas, nous pou­vons sim­ple­ment savoir que la vie est plutĂŽt pour­rie Ă  cette extrĂ©mitĂ© du spec­tre.  À l’ex­trĂȘme droite du spec­tre se trou­ve cet endroit par­a­disi­aque et dĂ©li­cieux avec des fontaines de choco­lat chaud, coulant et sans esclaves.  Ça, c’est du tra­vail dĂ©cent.  Mais le tra­vail dĂ©cent est Ă  l’op­posĂ© du mĂȘme spec­tre que l’esclavage mod­erne.  Et ce que nous devons faire, c’est prou­ver l’ex­is­tence d’une cul­ture de respect des droits de l’homme sur un lieu de tra­vail.  Nous prou­vons qu’un lieu de tra­vail est plus proche de l’ex­trĂ©mitĂ© du tra­vail dĂ©cent.  Et ce faisant, sans mĂȘme y penser, nous avons rĂ©futĂ© l’ex­is­tence de l’esclavage mod­erne, car le tra­vail dĂ©cent et l’esclavage mod­erne sont aux antipodes l’un de l’autre.  Ils sont comme de la kryp­tonite l’un pour l’autre, ils ne coex­is­tent pas.  Mais plus encore, tous les prob­lĂšmes liĂ©s aux droits de l’homme, qu’il s’agisse de l’é­cart de rĂ©munĂ©ra­tion entre hommes et femmes, du tra­vail for­cĂ© ou de la dis­crim­i­na­tion raciale, sont tous issus d’une cul­ture.  L’esclavage mod­erne n’est jamais un cas isolĂ© sur un lieu de tra­vail.  Si vous iden­ti­fiez la cul­ture, vous pou­vez iden­ti­fi­er le prob­lĂšme.  Plus un lieu de tra­vail se rap­proche de la notion de tra­vail dĂ©cent, moins il est sus­cep­ti­ble de prĂ©sen­ter des prob­lĂšmes liĂ©s aux droits de l’homme.  C’est donc ce que nous devions faire.  Pour ren­dre pos­si­ble cet exa­m­en des lieux de tra­vail, il nous fal­lait d’abord une norme pour dĂ©finir le tra­vail dĂ©cent et le spec­tre de l’esclavage mod­erne.  Vous ne serez peut-ĂȘtre pas sur­pris d’ap­pren­dre qu’il y a qua­tre ans Ă  peine, lorsque j’ai lancĂ© Slave­free­trade, il n’ex­is­tait pas de cadre effi­cace pou­vant ĂȘtre mis en Ɠuvre et dĂ©finis­sant le tra­vail dĂ©cent dans la vie rĂ©elle. Nous devions le met­tre en place.  Nous devions le faire. Nous avons donc passĂ© les deux pre­miĂšres annĂ©es Ă  le faire.  Nous avons Ă©gale­ment dĂ©cidĂ© Ă  ce moment-lĂ , par principe, que tout cadre de ce type devait ĂȘtre uni­versel.  J’e­spĂšre que vous serez d’ac­cord avec moi lorsque je dis qu’il est tout Ă  fait insat­is­faisant pour un mod­Úle de dire qu’un tra­vailleur de plan­ta­tion dans un pays doit tra­vailler dans un lieu oĂč les normes en matiĂšre de droits de l’homme sont infĂ©rieures Ă  celles d’un tra­vailleur de la grande dis­tri­b­u­tion en Angleterre ou d’un ban­quier Ă  New York.  Nous dis­posons d’un vaste cor­pus de lois inter­na­tionales sur les droits de l’homme et nos droits sont uni­verselle­ment recon­nus.  Nous n’avons pas besoin de nou­velles lois.  Et pour­tant, mal­grĂ© l’ex­is­tence de ce droit inter­na­tion­al con­venu en la matiĂšre, c’est une triste car­ac­tĂ©ris­tique, dis­ons, du monde des affaires mon­di­al, que le corps de droit inter­na­tion­al con­venu est un Ă©lé­ment insignifi­ant au jour le jour.  Je suis ici pour vous dire, j’ai enten­du des mil­liers d’en­tre­pris­es, elles dis­ent sim­ple­ment que les droits de l’homme ne sont pas Ă  leur ordre du jour.  Mais l’une des raisons de ce manque de per­ti­nence, c’est que c’est telle­ment Ă©sotĂ©rique, comme vous le savez tous, que ce n’est pas opĂ©ra­tionnel.  Si vous pensez que la plu­part des organ­i­sa­tions com­pren­nent leurs oblig­a­tions inter­na­tionales en matiĂšre de droits de l’homme, si vous allez deman­der Ă  quelqu’un chez H&M quelles sont ses oblig­a­tions inter­na­tionales en matiĂšre de droits de l’homme, vous ver­rez qu’en­v­i­ron deux per­son­nes le savent.  Vous vous bercez d’il­lu­sions si vous pensez que les lieux de tra­vail ou les entre­pris­es com­pren­nent cela.  Et si vous pensez qu’ils ont les moyens de ren­dre opĂ©ra­tionnels les traitĂ©s relat­ifs aux droits de l’homme, vous vous trompez com­plĂšte­ment.  Nous devons donc con­cré­tis­er quelque chose, quelque chose de trĂšs opĂ©ra­tionnel, pour que les entre­pris­es com­pren­nent ce que nous enten­dons rĂ©elle­ment par droits de l’homme sur le lieu de tra­vail.  Nous avons donc optĂ© pour une dĂ©f­i­ni­tion et un cadre opĂ©ra­tionnels uni­versels.  Nous avons donc choisi tous les points du droit inter­na­tion­al des droits de l’homme exis­tants, uni­verselle­ment recon­nus, qui con­cer­nent les droits et les con­di­tions de tra­vail.  Comme je l’ai dit, nous n’avons pas besoin de nou­velles lois.  Tous les droits sont dĂ©jĂ  prĂ©sents dans le cadre inter­na­tion­al.  Nous sommes donc par­venus Ă  un ensem­ble de dix principes pour un tra­vail dĂ©cent, allant de l’ab­sence de tra­vail for­cĂ© Ă  l’é­gal­itĂ© de rĂ©munĂ©ra­tion, en pas­sant par l’ab­sence de dis­crim­i­na­tion, la san­tĂ© et la sĂ©cu­ritĂ© au tra­vail, etc.  Ces dix principes fonc­tion­nent en cas­cade.  Sous cha­cun d’eux se trou­ve une poignĂ©e de con­di­tions rel­a­tives aux droits de l’homme.  Et si vous respectez bien tous ces principes, vous avez objec­tive­ment un trĂšs bon lieu de tra­vail.  J’aime utilis­er l’ex­pres­sion “les droits de l’homme sont les nou­velles ressources humaines”.  Je veux dire, c’est vrai­ment ce que les ressources humaines auraient tou­jours dĂ» ĂȘtre, non ?  Il est beau­coup plus impor­tant de savoir qu’il n’y a pas d’é­cart de rĂ©munĂ©ra­tion entre les hommes et les femmes ou de dis­crim­i­na­tion raciale sur le lieu de tra­vail, que de savoir que vous avez des cap­sules Nespres­so disponibles.  Pour le ren­dre opĂ©ra­tionnel, nous avons donc dĂ» pass­er Ă  l’é­tape suiv­ante, Ă  savoir la ratio­nal­i­sa­tion de ces 10 principes qui recou­vrent 25 ques­tions indi­vidu­elles rel­a­tives aux droits de l’homme.  Nous sommes con­fron­tĂ©s au prob­lĂšme.  Nous devons le faire con­naĂźtre Ă  ceux qui peu­vent nous dire ce qui se passe rĂ©elle­ment sur un lieu de tra­vail.  Cela sig­ni­fie qu’il faut deman­der Ă  tout le monde sur le lieu de tra­vail, trĂšs sim­ple­ment, comme je le fais lorsque je vais enquĂȘter.  Je demande Ă  tous ceux que je peux com­ment est leur vie.  Sous chaque con­di­tion se trou­ve donc une poignĂ©e d’indi­ca­teurs.  Ce sont les choses que vous recherchez pen­dant une enquĂȘte.  Nous arrivons finale­ment Ă  un ensem­ble glob­al de 100 indi­ca­teurs pour un lieu de tra­vail respectueux des droits de l’homme et sans esclavage.  Si quelqu’un me demande pourquoi 100, c’est tout sim­ple­ment parce qu’un seul indi­ca­teur est insuff­isant et que 1 000 indi­ca­teurs sont trop nom­breux pour ĂȘtre opĂ©ra­tionnels.  Nous devions donc aller bien au-delĂ  de toutes les normes de cer­ti­fi­ca­tion et d’au­dit exis­tantes, par exem­ple, et des normes de dura­bil­itĂ© sociale.  Toutes les normes exis­tantes pour ce que l’on appelle le S de l’ESG sont entiĂšre­ment basĂ©es sur ce que nous pour­rions appel­er la vision de l’en­tre­prise.  Si vous regardez n’im­porte quel mod­Úle de cer­ti­fi­ca­tion exis­tant, de B Corp Ă  Dow Jones, en pas­sant par la Glob­al Report­ing Ini­tia­tive, le com­merce Ă©quitable, toutes les agences de nota­tion de la dura­bil­itĂ© et mĂȘme les appli­ca­tions pour con­som­ma­teurs qui vous dis­ent que vous pou­vez sourire lorsque vous achetez cette robe en poly­ester, leur preuve est essen­tielle­ment le point de vue de l’en­tre­prise.  Je ne dis pas que nous ne sai­sis­sons pas le point de vue de l’en­tre­prise, mais il doit ĂȘtre cor­roborĂ© par les per­son­nes sur les lieux de tra­vail, qui sont en fin de compte les meilleurs arbi­tres de leurs con­di­tions.  Alors com­ment savoir quel est le goĂ»t de la tarte sous la croĂ»te ?  Nous devons faire ce que presque per­son­ne d’autre ne fait.  Nous deman­dons Ă  ceux qui man­gent la tarte.  Pour Slave­free­trade, ce que nous faisons, c’est un proces­sus, un mod­Úle d’ad­hé­sion selon lequel une organ­i­sa­tion rejoint Slave­free­trade pour devenir con­forme aux droits de l’homme, pour prou­ver qu’elle est con­forme aux droits de l’homme par le biais d’une Ă©val­u­a­tion et d’un con­trĂŽle con­ti­nus, per­ma­nents et en temps rĂ©el de ces 100 indi­ca­teurs.  Et per­me­t­tez-moi de rĂ©sumer deux proces­sus fon­da­men­taux impor­tants que nous appelons l’aligne­ment des valeurs et l’é­val­u­a­tion de la main-d’Ɠu­vre.  L’aligne­ment des valeurs est le point de vue de l’en­tre­prise, qui s’as­sure qu’elle dis­pose de tous les out­ils poli­tiques dont elle a besoin pour rĂ©gler les prob­lĂšmes lorsqu’il y en a, et l’é­val­u­a­tion de la main-d’Ɠu­vre est le point de vue indi­vidu­el.  Nous deman­dons donc Ă  chaque per­son­ne, sur chaque lieu de tra­vail, de nous par­ler de ses con­di­tions de tra­vail sur une base men­su­elle con­tin­ue.  Nous obtenons ain­si une vision Ă  360 degrĂ©s de ce qui se passe sur les lieux de tra­vail, Ă  par­tir des per­son­nes qui s’y trou­vent.  Et nous cor­roborons cela avec la vision de l’entreprise.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci, Bri­an. Mer­ci beau­coup. Et je pense que ce sera aus­si intĂ©res­sant plus tard, nous aurons du temps pour les ques­tions et les rĂ©pons­es. Donc vous pour­rez rĂ©pon­dre s’il y a des ques­tions, et je pense qu’il y en aura.  J’ai trou­vĂ© cela trĂšs intĂ©res­sant, car vous avez com­mencĂ© par le con­texte, la rĂ©ponse sys­tĂ©mique Ă  un prob­lĂšme sys­tĂ©mique.  Et comme vous l’avez dit, pour se con­cen­tr­er sur le posi­tif, il est bien mieux d’avoir des droits de l’homme sur le lieu de tra­vail que de savoir que vous avez du cafĂ© bon marchĂ© lĂ -bas.  Vous nous avez donc expliquĂ© la vĂ©ri­ta­ble cause pro­fonde.  Et c’est trĂšs intĂ©res­sant pour le dĂ©but.  Nous allons main­tenant enten­dre le tra­vail pra­tique du Dr Cristi­na Duran­ti.  Elle est la direc­trice de la Fon­da­tion inter­na­tionale du Bon Pas­teur, qui a rem­portĂ© le prix Thom­son Reuters et le prix Stop Slav­ery pour son tra­vail de lutte con­tre l’ex­ploita­tion des enfants for­cĂ©s de tra­vailler dans les mines de la RĂ©publique dĂ©moc­ra­tique du Con­go.  Et je suis heureux d’en­ten­dre ce que vous avez Ă  nous dire sur ce sujet.  Vous avez la parole, Cristina.

 

CRISTINA DURANTI : Mer­ci encore pour cette trĂšs aimable invi­ta­tion au Pro­fesseur Veuthey et Ă  Mir­jam.  Je suis trĂšs intĂ©ressĂ©e de partager avec vous ce que nous apprenons sur ce sujet trĂšs cri­tique pour nous tous qui sommes impliquĂ©s dans le dĂ©veloppe­ment et la pro­tec­tion et la pro­mo­tion des droits de l’homme.  TrĂšs briĂšve­ment, la Fon­da­tion inter­na­tionale du Bon Pas­teur tra­vaille avec les sƓurs du Bon Pas­teur dans 37 pays d’Asie, d’AmĂ©rique latine, d’Afrique et du Moyen-Ori­ent.  Nous soutenons leurs mis­sions dans cer­tains des con­textes les plus dif­fi­ciles et les plus frag­iles du monde.  Nous nous con­cen­trons sur les filles, les femmes et les enfants et notre mode de fonc­tion­nement, notre mod­Úle d’in­ter­ven­tion, con­siste Ă  pro­mou­voir le dĂ©veloppe­ment inté­gral de l’ĂȘtre humain dans le con­texte de leurs com­mu­nautĂ©s.  J’ai Ă©tĂ© invitĂ©e Ă  partager avec vous notre expĂ©ri­ence, en com­mençant par ce que nous faisons en RDC, la RĂ©publique dĂ©moc­ra­tique du Con­go, oĂč nous menons ce pro­gramme assez impor­tant, c’est l’un de nos plus grands pro­grammes axĂ©s sur l’ASM.  L’ASM sig­ni­fie “exploita­tion miniĂšre arti­sanale et Ă  petite Ă©chelle”, et plus par­ti­c­uliĂšre­ment dans une rĂ©gion de la RDC bien con­nue du monde entier, car elle four­nit cer­taines des matiĂšres pre­miĂšres les plus con­voitĂ©es qui ali­mentent nos sys­tĂšmes indus­triels.  Nous nous con­cen­trons aujour­d’hui par­ti­c­uliĂšre­ment sur le cobalt, l’ex­trac­tion de ce min­erai trĂšs, trĂšs con­voitĂ© pour la pro­duc­tion de bat­ter­ies lithi­um-ion.  Vous pou­vez donc imag­in­er que cette rĂ©gion est dev­enue l’un des points chauds du monde en ter­mes d’ex­ploita­tion miniĂšre et d’ex­trac­tion.  J’ai dĂ©jĂ  Ă©tĂ© invitĂ©e Ă  par­ler du tra­vail des enfants en par­ti­c­uli­er, car c’est l’un des prin­ci­paux objec­tifs de notre tra­vail Ă  Kol­wezi.  Nous avons rĂ©al­isĂ©, lorsque les sƓurs du Bon Pas­teur sont arrivĂ©es Ă  Kol­wezi, la cap­i­tale du Lual­a­ba, anci­enne province du Katan­ga au sud de la RDC, que le tra­vail for­cĂ© des enfants et en par­ti­c­uli­er les pires formes de tra­vail des enfants, telles que dĂ©finies par l’OIT, Ă©taient vrai­ment rĂ©pan­dues dans les petites com­mu­nautĂ©s de la ville de Kol­wezi et de ses envi­rons.  Nous avons donc com­mencĂ© Ă  nous atta­quer Ă  ce prob­lĂšme et, au cours des huit derniĂšres annĂ©es, nous avons glob­ale­ment sor­ti env­i­ron 4 000 enfants des mines et les avons soutenus dans l’é­d­u­ca­tion formelle par le biais d’un pro­gramme de dĂ©veloppe­ment com­mu­nau­taire impli­quant les familles et les com­mu­nautĂ©s.  Cepen­dant, aujour­d’hui, en rai­son de l’ob­jec­tif spé­ci­fique du webi­naire, je voulais vous don­ner une descrip­tion un peu plus nuancĂ©e de ce que nous avons observĂ© en ter­mes de tra­vail for­cĂ© et d’esclavage mod­erne.  Le tra­vail des enfants est une chose qui a vrai­ment attirĂ© l’at­ten­tion du monde entier, lorsque nous avons com­mencĂ© Ă  tra­vailler Ă  Kol­wezi. Amnesty a pub­liĂ© un rap­port Ă  ce sujet.  Et c’é­tait donc une accroche trĂšs puis­sante, com­ment dire, pour par­ler de ce qui se pas­sait dans ces com­mu­nautĂ©s miniĂšres arti­sanales.  Cepen­dant, ce que nous avons rĂ©al­isĂ©, c’est que le tra­vail des enfants n’est que la par­tie Ă©mergĂ©e de l’ice­berg, en par­ti­c­uli­er lorsque nous par­lons de sys­tĂšmes Ă©conomiques extrĂȘme­ment frag­iles comme celui qui tourne autour de l’ex­ploita­tion miniĂšre dans ces com­mu­nautĂ©s d’un État frag­ile comme la RDC.  Et il est extrĂȘme­ment dif­fi­cile de, com­ment dire, dĂ©con­necter le tra­vail des enfants de la con­di­tion gĂ©nĂ©rale du tra­vail des com­mu­nautĂ©s qui vivent et tra­vail­lent dans ces rĂ©gions.  Je voulais donc juste rap­pel­er pourquoi nous par­lons du tra­vail for­cĂ© et de l’esclavage mod­erne en tant que GSIF, Good Shep­herd Inter­na­tion­al Foun­da­tion, et pourquoi les SƓurs se sont impliquĂ©es dans ce sujet qui, Ă  l’o­rig­ine, sem­blait un peu dĂ©con­nec­tĂ© de l’ob­jet de notre tra­vail, qui tourne plus tra­di­tion­nelle­ment autour des filles et des droits des femmes.  Bien sĂ»r, comme toutes les agences de dĂ©veloppe­ment et aus­si les organ­i­sa­tions con­fes­sion­nelles, nous exam­inons les pri­or­itĂ©s de l’A­gen­da 2030 et nous savons que le tra­vail dĂ©cent, la crĂ©a­tion d’emplois, la pro­tec­tion sociale et les droits au tra­vail sont un Ă©lé­ment clĂ© pour attein­dre les ODD et l’a­gen­da glob­al.  Et nous sommes extrĂȘme­ment con­scients que pour fournir des solu­tions durables Ă  nos prin­ci­paux bĂ©né­fi­ci­aires, les femmes et les filles, nous devons exam­in­er des moyens durables de gĂ©nĂ©r­er une crois­sance Ă©conomique et de pro­mou­voir la crois­sance Ă©conomique.  Il n’y a aucun doute lĂ -dessus, je pense que pour tout le monde, donc le tra­vail dĂ©cent et la crois­sance Ă©conomique doivent aller de pair.  Bien que gĂ©nĂ©r­er des emplois dĂ©cents, des emplois con­formes aux droits de l’homme pour les groupes vul­nĂ©rables, en par­ti­c­uli­er les femmes et les plus pau­vres, ceux qui sont les plus
 qui ont le plus de dif­fi­cultĂ©s Ă  s’im­pli­quer dans le tra­vail formel, est extrĂȘme­ment dĂ©li­cat.  Et c’est vrai­ment, je pense, l’un des prin­ci­paux dĂ©fis pour ceux qui sont impliquĂ©s dans le dĂ©veloppe­ment.  Et, vous savez, nous savons que les objec­tifs de l’A­gen­da 2030, aux­quels nous espĂ©rons con­tribuer, con­sis­tent d’une part Ă  soutenir la mod­erni­sa­tion et la crois­sance du secteur des micro, petites et moyennes entre­pris­es.  Car nous savons que ce sont prob­a­ble­ment les mod­Úles, les mod­Úles Ă©conomiques qui peu­vent favoris­er l’in­clu­sion Ă©conomique et la gĂ©nĂ©ra­tion de revenus pour les sec­tions les plus vul­nĂ©rables de la pop­u­la­tion que nous exam­inons.  D’autre part, en par­lant spé­ci­fique­ment de la cible 8.7, nous nous sommes tous engagĂ©s Ă  Ă©lim­in­er les pires formes de tra­vail des enfants et toutes les formes de tra­vail des enfants d’i­ci 2025.  Je pense que nous sommes tous con­scients que nous sommes loin du compte pour le moment.  La semaine derniĂšre, nous avons cĂ©lĂ©brĂ© la JournĂ©e mon­di­ale con­tre le tra­vail des enfants et nous avons tous lu le rap­port de l’OIT et de l’U­NICEF sur l’é­tat d’a­vance­ment de l’élim­i­na­tion du tra­vail des enfants, et nous avons appris que le tra­vail des enfants est en aug­men­ta­tion, avec 160 mil­lions d’en­fants impliquĂ©s dans le tra­vail des enfants selon les esti­ma­tions.  Et cela s’a­joute au fait que nous sommes au milieu d’une ter­ri­ble rĂ©ces­sion Ă©conomique.  Et pour en venir Ă  ce que je dis­ais, l’é­conomie informelle est prob­a­ble­ment le secteur qui perd le plus de capac­itĂ© Ă  gĂ©nĂ©r­er des moyens de sub­sis­tance.  Et c’est ce que nous obser­vons dans des com­mu­nautĂ©s comme celles de Kol­wezi, oĂč c’est l’é­conomie informelle qui sou­tient leurs moyens de sub­sis­tance.  Nous entrons donc ici dans le vif du sujet avec ce qui se passe Ă  Kol­wezi.  Comme je vous le dis­ais, il y a eu beau­coup de
  Beau­coup, dis­ons, pas mal de recherch­es et de plaidoy­er, d’in­tĂ©res­santes ini­tia­tives inter­na­tionales de plaidoy­er autour de la prĂ©sence d’en­fants dans la chaĂźne d’ap­pro­vi­sion­nement des bat­ter­ies, en com­mençant par Kol­wezi, en RDC, avec l’ex­trac­tion du cobalt.  Et cela a soulevé   L’alarme a Ă©tĂ© tirĂ©e par de nom­breuses grandes entre­pris­es, en par­ti­c­uli­er par ces deux ou trois per­son­nes, comme le dis­ait Bri­an, qui sont des experts des droits de l’homme et des affaires au sein de ces entre­pris­es.  Cela a attirĂ© leur atten­tion sur le prob­lĂšme du tra­vail des enfants.  Cepen­dant, comme je le dis­ais, nous devons regarder un peu plus en pro­fondeur car le con­texte dans lequel nous nous trou­vons n’est pas, com­ment dire, un con­texte noir ou blanc.  Nous par­lons d’é­conomies large­ment informelles qui impliquent la majoritĂ© de la pop­u­la­tion.  L’ex­trac­tion de ces minĂ©raux est effec­tuĂ©e, selon les esti­ma­tions, entre 20 et 40 % par des mineurs dits arti­sanaux.  Et l’ex­ploita­tion miniĂšre arti­sanale dans cette rĂ©gion par­ti­c­uliĂšre, mais aus­si dans la majeure par­tie de la RDC, est un secteur haute­ment non rĂ©gle­men­tĂ©.  Pour­tant, il four­nit des moyens de sub­sis­tance Ă  une trĂšs grande par­tie de la pop­u­la­tion.  Cela sig­ni­fie que nous ne pou­vons pas vrai­ment chercher un employeur, une entre­prise Ă  qui par­ler lorsque nous voulons abor­der la ques­tion du tra­vail dĂ©cent, ou des con­di­tions d’esclavage, ou du salaire dĂ©cent, ou de la sĂ»retĂ© et de la sĂ©cu­ritĂ©.  Nous par­lons prin­ci­pale­ment d’in­di­vidus, qui se regroupent, main­tenant dans le cadre du nou­veau code minier, ils doivent se regrouper dans le cadre de coopĂ©ra­tives.  Mais leurs con­di­tions de tra­vail restent extrĂȘme­ment volatiles, extrĂȘme­ment sujettes Ă  la volatil­itĂ© du marchĂ© et des acheteurs, et de ceux qui fix­ent les prix.  Lorsque nous avons cher­chĂ© Ă  savoir de plus prĂšs quelles Ă©taient les con­di­tions de tra­vail de ces mineurs arti­sanaux dans les com­mu­nautĂ©s qui four­nissent la plus grande quan­titĂ© de min­erais dans la chaĂźne d’ap­pro­vi­sion­nement du cobalt, ce que nous avons trou­vĂ©, vous savez, ressem­blait Ă  une sorte de tableau Ă  la Dick­ens, comme un paysage prĂ©in­dus­triel oĂč une sorte d’ac­tion col­lec­tive, quelques idĂ©es de sys­tĂšmes de nĂ©go­ci­a­tion col­lec­tive, sont encore absol­u­ment Ă©loignĂ©es et con­sid­érĂ©es comme trĂšs, trĂšs loin­taines.  Ain­si, ce qui pour­rait ĂȘtre con­sid­érĂ© comme les embryons, les points de dĂ©part d’un proces­sus de dĂ©fense et de lob­by­ing pour les droits des tra­vailleurs Ă©taient absol­u­ment absents.  Et donc ce que nous avons trou­vĂ©, ce sont des con­di­tions oĂč les mineurs sont payĂ©s, comme vous pou­vez le lire ici, entre 0,8 et 50 cents par jour pour ce qu’ils pro­duisent.  Ils n’ont aucune idĂ©e du prix du marchĂ© de ce qu’ils pro­duisent.  Et leur pou­voir de nĂ©go­ci­a­tion est extrĂȘme­ment lim­itĂ©.  Les con­di­tions que nos chercheurs ont trou­vĂ©es sur le ter­rain Ă©taient com­pa­ra­bles Ă  ce qu’ils ont vu dans les camps de rĂ©fugiĂ©s au Sud-Soudan.  Si l’on prend cela comme une barre, un point de rĂ©fĂ©rence, dis­ons, pour le cĂŽtĂ© le plus bas pos­si­ble de l’échelle en ter­mes de droits du tra­vail, on peut dire qu’il s’ag­it d’une sit­u­a­tion qui se situe au bas de l’échelle, Ă  l’ex­trĂ©mitĂ© de l’échelle.  Quels sont les obsta­cles au tra­vail dĂ©cent dans le secteur de l’ex­ploita­tion miniĂšre arti­sanale et Ă  petite Ă©chelle que nous avons pu iden­ti­fi­er et que nous obser­vons tou­jours comme Ă©tant les Ă©lé­ments clĂ©s qui doivent ĂȘtre abor­dĂ©s ?  Il est cer­tain qu’il y a un manque d’é­d­u­ca­tion sur les droits des tra­vailleurs et des mineurs en par­ti­c­uli­er.  MĂȘme si, en RDC, il existe des lois assez sophis­tiquĂ©es qui, en thĂ©orie, dĂ©fend­ent les droits de ce secteur par­ti­c­uli­er de la main-d’Ɠu­vre, elles ne sont pas bien con­nues et ne sont cer­taine­ment pas appliquĂ©es.  Et cela se traduit par un manque total de pou­voir de nĂ©go­ci­a­tion des mineurs.  Donc aucune capac­itĂ© col­lec­tive Ă  men­er des ini­tia­tives d’ac­tion col­lec­tive.  Il y a un risque per­ma­nent de per­dre ce pou­voir de nĂ©go­ci­a­tion, mĂȘme min­ime, en rai­son d’un cer­tain nom­bre de prob­lĂšmes liĂ©s Ă  la pro­priĂ©tĂ© des ter­res oĂč ces per­son­nes exploitent les mines, qui sont gĂ©nĂ©rale­ment illé­gales dans leur exploita­tion.  Il existe une tolĂ©rance Ă  l’é­gard de ces mineurs, mais aucun droit rĂ©el d’ex­ploita­tion miniĂšre n’est accordĂ© dans ces zones, bien que ces zones ne soient pas util­isĂ©es par les pro­prié­taires des con­ces­sions.  Il faut savoir que les con­ces­sions miniĂšres ont la taille d’une rĂ©gion ital­i­enne moyenne.  Elles sont donc immenses, Ă©normes et large­ment inutil­isĂ©es.  La taille des coopĂ©ra­tives qui ont Ă©tĂ© for­mĂ©es et leur nature en ter­mes de droits lĂ©gaux et de droits con­tractuels sont extrĂȘme­ment obscures et entachĂ©es de cor­rup­tion et de col­lu­sion avec les forces poli­tiques de l’É­tat, qui empĂȘchent toute forme de trans­parence.  Il y a un fort risque de rela­tions d’en­det­te­ment entre les mem­bres des coopĂ©ra­tives et les pro­prié­taires des coopĂ©ra­tives.  Nous ne pou­vons donc mĂȘme pas les qual­i­fi­er de vĂ©ri­ta­bles coopĂ©ra­tives selon nos normes europĂ©ennes, dis­ons, et nous avons observĂ© que dans de nom­breux cas, les per­son­nes qui tra­vail­lent sur ces sites miniers, pas seule­ment les mineurs, mais aus­si leurs familles qui vivent trĂšs sou­vent dans ces con­ces­sions miniĂšres, n’ont mĂȘme pas la lib­ertĂ© de se dĂ©plac­er.  Et si nous ne pou­vons pas dĂ©finir cela comme de l’esclavage mod­erne, je ne sais pas ce qui pour­rait ĂȘtre qual­i­fiĂ© d’esclavage mod­erne.  Comme je l’ai dit, il y a des prob­lĂšmes extrĂȘme­ment forts, mais je n’en­tr­erai pas dans les dĂ©tails ici, peut-ĂȘtre pour­rons-nous en par­ler pen­dant l’heure des ques­tions.  Il y a cer­taine­ment des prob­lĂšmes liĂ©s Ă  l’ap­pli­ca­tion de la loi et Ă  la dif­fi­cultĂ© pour les agences gou­verne­men­tales et la police de soutenir effi­cace­ment les droits de ces tra­vailleurs.  C’est plutĂŽt le con­traire.  La cor­rup­tion et la col­lu­sion s’ac­cu­mu­lent essen­tielle­ment con­tre les droits de ces tra­vailleurs.  Ce que je voulais dire en con­clu­sion, c’est qu’il y a une petite lueur d’e­spoir.  De nou­veaux sys­tĂšmes de rĂ©gle­men­ta­tion sont en cours d’élab­o­ra­tion.  Le gou­verne­ment de la RDC tente de met­tre en place une entre­prise publique-privĂ©e qui devrait con­tribuer, dis­ons, Ă  offrir de meilleures con­di­tions de marchĂ©, comme nous par­lions d’inci­ta­tions, pour que les mineurs arti­sanaux for­malisent leurs opĂ©ra­tions.  Il existe de nom­breux proces­sus d’a­gences mul­ti­latĂ©rales et d’ini­tia­tives mul­ti­par­tites visant Ă  dĂ©velop­per des normes pour ce secteur.  Et nous faisons par­tie de cer­tains d’en­tre eux.  Et c’est cer­taine­ment un proces­sus trĂšs, trĂšs dif­fi­cile de dĂ©finir des ensem­bles de normes spé­ci­fiques du point de vue de la pro­tec­tion des droits de l’homme.  Et il y a des ini­tia­tives comme celles que nous menons, pour pro­mou­voir des moyens de sub­sis­tance alter­nat­ifs basĂ©s sur de bons mod­Úles de coopĂ©ra­tives d’en­tre­pris­es sociales qui peu­vent Ă©gale­ment Ă©tablir une norme pour le mou­ve­ment coopĂ©ratif local qui se con­cen­tre sur le tra­vail dĂ©cent et les droits des tra­vailleurs.  Je vais donc m’ar­rĂȘter ici et je serai heureux de rĂ©pon­dre Ă  vos questions.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci, Cristi­na. Quand je vous Ă©coute, ce que j’ai trou­vĂ© trĂšs intĂ©res­sant ou ce qui m’a frap­pĂ©, c’est que d’une cer­taine maniĂšre, on peut dire que le manque d’é­d­u­ca­tion entraĂźne beau­coup d’autres raisons, comme le manque de nĂ©go­ci­a­tion. Per­son­ne ne s’est don­nĂ© la peine d’ap­pren­dre Ă  nĂ©goci­er et ils sont inca­pables de sig­naler les cas.  Je pense que beau­coup d’é­d­u­ca­tion sera nĂ©ces­saire pour amĂ©lior­er la sit­u­a­tion, en plus de toutes les mesures lĂ©gales nĂ©ces­saires dans lesquelles vous ĂȘtes impliquĂ©s.  Main­tenant, nous avons eu un pre­mier aperçu du tra­vail pra­tique en RĂ©publique dĂ©moc­ra­tique du Con­go. Nous allons main­tenant pass­er Ă  M. Andrea March­esani.  Il est le con­seiller spé­cial de l’Or­dre de Malte, mem­bre de la Sec­tion Migrants et RĂ©fugiĂ©s, un Dicas­tĂšre du DĂ©veloppe­ment Humain Inté­gral du Saint-SiĂšge.  Vous avez la parole.

 

ANDREA MARCHESANI : Mer­ci beau­coup, SƓur Mir­jam.  Bon­soir Ă  tous. C’est un plaisir pour moi d’in­ter­venir ce soir, cet aprĂšs-midi, en ma qual­itĂ© de respon­s­able de la recherche de la sec­tion Migrants et RĂ©fugiĂ©s du Saint-SiĂšge.  Et mon devoir aujour­d’hui est de men­er
  Je voudrais remerci­er Michel pour l’in­vi­ta­tion, Ă  tous les autres inter­venants et Ă  l’Or­dre de Malte.  Et mon devoir ce soir, aujour­d’hui, est d’in­ter­venir et de par­ler du tra­vail dĂ©cent, et per­me­t­tez-moi d’u­tilis­er le mot qu’en anglais tous les papes ont util­isĂ© dans tous les doc­u­ments, dans tous les doc­u­ments soci­aux de l’Église, ils utilisent le mot tra­vail, pour par­ler du tra­vail dĂ©cent et per­me­t­tez-moi de le reli­er aux Ori­en­ta­tions pas­torales sur la traite des ĂȘtres humains que la Sec­tion a conçu et Ă©crit il y a quelques annĂ©es avec la col­lab­o­ra­tion de beau­coup d’en­tre vous qui Ă©taient prĂ©sents Ă  Sacro­fano Ă  la con­sul­ta­tion et Ă  la con­fĂ©rence.  Et donc, pour com­mencer, je voudrais com­mencer par le tout dĂ©but.  Et donc de la GenĂšse oĂč nous trou­vons la crĂ©a­tion et nous trou­vons le tra­vail, nous trou­vons le tra­vail dans la crĂ©a­tion, et la crĂ©a­tion elle-mĂȘme est le tra­vail, est l’Ɠu­vre de Dieu.  Et dans la crĂ©a­tion, pen­dant la crĂ©a­tion, Dieu a con­fiĂ© le soin et la cul­ture de la terre aux crĂ©a­tures.  Nous avons donc ici le pre­mier fait ou la pre­miĂšre don­nĂ©e que la crĂ©a­tion, le tra­vail, n’est pas une dom­i­na­tion absolue de l’homme sur la crĂ©a­tion, mais qu’il respecte la volon­tĂ© de Dieu et des autres crĂ©a­tures.  Donc le tra­vail, le labeur, ne peut pas ĂȘtre une idole, ne peut pas ĂȘtre une dom­i­na­tion.  Et c’est le point du pĂ©chĂ© orig­inel et de la dom­i­na­tion, c’est-Ă -dire l’ex­ploita­tion des autres, des autres crĂ©a­tures et de la crĂ©a­tion, juste pour rester con­nec­tĂ© Ă  Lauda­to Si’.  Une autre chose intĂ©res­sante est que le repos du sab­bat, le repos que Dieu a Ă  la fin de la crĂ©a­tion n’est pas seule­ment le culte de la crĂ©a­tion, mais pour les crĂ©a­tures, c’est le culte de Dieu lui-mĂȘme, et c’est ce que l’en­seigne­ment social catholique dĂ©finit comme le repos de la dĂ©fense des pau­vres.  Et si nous allons plus loin dans les livres des juges et du DeutĂ©ronome, nous trou­vons que l’un des pĂ©chĂ©s, comme l’a dĂ©fi­ni le Pape Saint Pie X, l’un des pĂ©chĂ©s qu’ils cri­ent au ciel, est l’in­jus­tice envers le salariĂ©, et la Con­sti­tu­tion Apos­tolique de Paul VI dit qu’un salaire doit per­me­t­tre aux tra­vailleurs et Ă  leurs familles de vivre au-dessus du seuil de pau­vretĂ©, d’avoir du temps pour se repos­er, et de jouir de la vie, de jouir d’une vie nor­male, et de fournir une Ă©du­ca­tion et des ressources suff­isantes et suff­isantes pour la famille.  Donc aprĂšs cela, nous pou­vons dire que le tra­vail indé­cent est de l’esclavage.  Et comme Bri­an le dis­ait avant, nous pou­vons par­ler de nom­breuses struc­tures, nous pou­vons par­ler du sys­tĂšme.  Mais le point est un, le point prin­ci­pal est un, c’est le pĂ©chĂ© orig­inel.  Donc l’ex­ploita­tion, la dom­i­na­tion sur les autres crĂ©a­tures.  Et Ă  par­tir de lĂ , les struc­tures que l’en­seigne­ment social catholique dĂ©finit comme la struc­ture du pĂ©chĂ© crĂ©ent l’ex­clu­sion sociale et Ă©conomique, nous avons donc un sys­tĂšme Ă©conomique qui per­met la pri­mautĂ© des choses sur l’homme, la pri­or­itĂ© du cap­i­tal sur le tra­vail et l’ar­gent, la tech­nolo­gie comme une fin et non comme un moyen.  Et nous avons donc toutes ces con­sĂ©quences.  C’est donc une struc­ture de pĂ©chĂ© et c’est le prob­lĂšme, et c’est un prob­lĂšme qui se per­pĂ©tue sans aucun obsta­cle, parce que c’est un sys­tĂšme qui traite les hommes, les per­son­nes comme de sim­ples marchan­dis­es pour l’in­tĂ©rĂȘt per­son­nel des autres.  Et
  Bri­an a dit qu’a­vant de se con­cen­tr­er, nous devons iden­ti­fi­er une cul­ture qui est respon­s­able de, et cela pour­rait ĂȘtre la cul­ture du jetable que le Pape a appelĂ© plusieurs fois, une cul­ture du gaspillage qui est con­tre la cen­tral­itĂ© de la per­son­ne humaine, la cen­tral­itĂ© de la per­son­ne humaine, le sys­tĂšme.  Donc le sys­tĂšme Ă©conomique, le sys­tĂšme poli­tique, est au ser­vice de l’homme et non l’in­verse.  Et aujour­d’hui nous assis­tons aus­si, dans l’ùre mod­erne, nous assis­tons au dĂ©tourne­ment des cap­i­taux de l’é­conomie rĂ©elle.  Et quand cela est exces­sif, et quand il y a une accu­mu­la­tion exces­sive, les gens sont exclus et le tra­vail est un instru­ment, et l’ar­gent est une fin pour peu de gens.  Donc, pour en revenir aux aspects de la demande, cha­cun d’en­tre nous est un con­som­ma­teur et nous sommes tous impliquĂ©s.  Le Pape
  J’é­tais Ă  GenĂšve Ă  l’époque avec Michel et le Pape a dit que nous sommes tous respon­s­ables de la mort des gens, de l’ex­clu­sion des gens, parce que nous en faisons par­tie et que le bien com­mun ne peut ĂȘtre atteint si tout le monde n’est pas inclus, si le dĂ©veloppe­ment humain inté­gral de cha­cun n’est pas envis­agĂ©.  Nous faisons donc tous par­tie de ce sys­tĂšme, et nous bĂ©né­fi­cions de ce sys­tĂšme, un sys­tĂšme qui Ă©volue comme une con­spir­a­tion du silence pour le prof­it et cela n’est pas loin de nous, ce n’est pas dans les grandes entre­pris­es juste en RĂ©publique dĂ©moc­ra­tique du Con­go, trĂšs loin de nous, mais c’est dans nos maisons et dans des entre­pris­es bien con­sid­érĂ©es.  Ce que je veux dire, c’est que les affaires ne sont pas liĂ©es Ă  la traite des ĂȘtres humains ou Ă  l’esclavage dans ce cas.  Mais c’est le lieu, c’est l’en­droit oĂč cela se passe.  Et chaque fois qu’il y a des gens qui sont plus con­traints, ou dans des con­di­tions dĂ©sas­treuses ou dĂ©shu­man­isantes, on a de l’esclavage et du tra­vail indé­cent.  Ain­si, la con­cur­rence sur les marchĂ©s et la rĂ©duc­tion des coĂ»ts de la main-d’Ɠu­vre ne lais­sent pas le choix aux gens d’ac­cepter un tra­vail dans des con­di­tions dĂ©sas­treuses.  Et en ce qui con­cerne les con­som­ma­teurs, BenoĂźt XVI nous rap­pelle, dans l’en­cy­clique Car­i­tas in ver­i­tate, que l’achat, l’ac­qui­si­tion de quelque chose n’est pas seule­ment un acte Ă©conomique, mais aus­si un acte moral avec une respon­s­abil­itĂ© sociale spé­ci­fique.  Et donc, que pou­vons-nous faire, quel peut ĂȘtre le remĂšde Ă  cela ?  Tout d’abord, l’é­d­u­ca­tion, la cul­ture.  Et cela doit com­mencer dĂšs le dĂ©but.  Ce n’est pas facile.  La sec­onde est l’é­val­u­a­tion Ă©thique des entre­pris­es, car nous enten­dons sou­vent par­ler de respon­s­abil­itĂ© sociale des entre­pris­es.  Mais bien sou­vent, il s’ag­it de mar­ket­ing, d’une par­tie du mar­ket­ing ou des rela­tions publiques d’une entre­prise.  Et ce n’est pas effi­cace, et ils con­tin­u­ent Ă  chercher unique­ment l’ef­fi­cac­itĂ©, ce qui est une chose dif­fĂ©rente.  Et pour chang­er de par­a­digme, nous devons chang­er de par­a­digme.  Et c’est lĂ  que l’en­seigne­ment social de l’Eglise est arrivĂ© aprĂšs la rĂ©vo­lu­tion indus­trielle, en assis­tant Ă  la con­di­tion des tra­vailleurs du monde entier et en essayant de dire quelque chose, par exem­ple sur la co-par­tic­i­pa­tion, un con­trĂŽle sur le marchĂ©, sur le sys­tĂšme, mais bien sĂ»r des ini­tia­tives libres, mais ensem­ble, pas l’un ou l’autre seul.  Une autre chose qui est un devoir, je peux par­ler pour l’Eglise, c’est l’é­vangĂ©li­sa­tion et l’ac­com­pa­g­ne­ment pas­toral des tra­vailleurs dans les syn­di­cats, le tra­vail de l’Eglise dans les syn­di­cats et aus­si dans les fĂ©dĂ©ra­tions d’employeurs.  Et un cinquiĂšme Ă©lé­ment pour­rait ĂȘtre la dĂ©fense de la famille, parce que les familles sont des fil­tres Ă  tra­vers le sys­tĂšme, c’est la pre­miĂšre cel­lule de la com­mu­nautĂ© et elle per­met aux gens de fil­tr­er le sys­tĂšme, le sys­tĂšme Ă©conomique, le sys­tĂšme cul­turel, qui est trĂšs bien rĂ©pan­du en ce moment de glob­al­i­sa­tion comme une glob­al­i­sa­tion de l’in­dif­fĂ©rence.  Et c’est la pre­miĂšre arme que nous devons ren­forcer et soutenir.  Plus une com­mu­nautĂ© est frag­men­tĂ©e, plus la traite des ĂȘtres humains et l’esclavage sont pos­si­bles.  L’in­di­vid­u­al­isme peut se dĂ©velop­per sans aucun obsta­cle, et les gens ne sont pas dĂ©fendus par la com­mu­nautĂ© ou par la famille.  Par exem­ple, vous savez, le tra­vail indé­cent, le tra­vail indé­cent et l’esclavage ne sont pas trĂšs loin de nous, comme je l’ai dit, mais aus­si dans des entre­pris­es trĂšs bien con­sid­érĂ©es oĂč les jeunes pro­fes­sion­nels arrivent, par­fois ils finis­sent leur tra­vail trĂšs tard, ils n’ont pas de vie, mais s’ils ne font pas cela, ils ne peu­vent pas grandir, ils ne peu­vent pas grandir pro­fes­sion­nelle­ment, ils peu­vent se faire harcel­er et con­train­dre par les employeurs.  Je voudrais donc ajouter que l’esclavage et le tra­vail indé­cent se font par­fois aus­si sur une base volon­taire et pas seule­ment sur la base de la coerci­tion.  Et une autre chose que je voudrais soulign­er, c’est qu’à l’heure de la pandĂ©mie, oĂč la tech­nolo­gie est si envahissante dans notre vie, dans notre vie pro­fes­sion­nelle, la tech­nolo­gie dĂ©fig­ure et peut dĂ©fig­ur­er le tra­vail et le tra­vail intel­li­gent crĂ©e des dynamiques Ă©tranges mĂȘme dans les lieux de tra­vail dĂ©cents.  Et donc je voudrais juste con­clure avec Saint Thomas, que “le tra­vail n’est pas une chose à
”.  J’avais la cita­tion ici, je l’ai per­due.  “Ce n’est pas seule­ment pour gag­n­er de l’ar­gent, mais cela fait par­tie de la nature mĂȘme de l’homme.  Le tra­vail est une bonne chose pour l’homme, une bonne chose pour l’hu­man­itĂ©, parce que l’homme avec le tra­vail, l’homme non seule­ment trans­forme la nature, en l’adap­tant Ă  ses pro­pres besoins, mais il s’ac­com­plit aus­si en tant qu’ĂȘtre humain et mĂȘme, en un sens, devient un ĂȘtre plus humain.  Le tra­vail dĂ©cent est une exi­gence pour la rĂ©al­i­sa­tion du bien com­mun.”  Mer­ci beaucoup.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci, Andrea. C’é­tait aus­si un autre aspect du tra­vail dĂ©cent. Vous avez par­lĂ© comme Bri­an de la cul­ture du tra­vail, et du sys­tĂšme, mais aus­si du fait que l’achat est un acte moral.  Vous citez donc une autre approche spir­ituelle et con­fes­sion­nelle du phĂ©nomĂšne du tra­vail dĂ©cent dans la dis­cus­sion.  Gabriele Spina, psy­cho­logue et chef de pro­jet pour le Con­sor­tium “Il Nodo” Ă  Catane, en Ital­ie, en charge de la pro­tec­tion des jeunes et des migrants.  Il va nous prĂ©sen­ter son tra­vail.  Com­ment ils Ă©duquent les jeunes migrants pour qu’ils s’in­tÚ­grent dans la sociĂ©tĂ©, qu’ils soient capa­bles d’oc­cu­per des postes avec des con­di­tions de tra­vail dĂ©centes, car ce n’est pas si facile. Vous avez la parole, Gabriele.

 

GABRIELE SPINA : Mer­ci, Michel et SƓur Mir­jam de m’avoir invitĂ©e Ă  expli­quer le tra­vail que mon organ­i­sa­tion fait pour aider les migrants.  Je pense que ma dis­cus­sion est trĂšs liĂ©e Ă  cer­tains des sujets dont nous par­lons, l’é­d­u­ca­tion, l’amĂ©lio­ra­tion des com­pé­tences et les prob­lĂšmes cul­turels liĂ©s au tra­vail.  Et je veux pren­dre quelques min­utes pour prĂ©sen­ter mon organ­i­sa­tion, “Con­sorzio Il Nodo”, qui est nĂ©e en 2000.  Elle est com­posĂ©e de plus de 10 coopĂ©ra­tives sociales qui ont com­mencĂ© leur tra­vail en 1970, avec le sou­tien de la con­gré­ga­tion des SƓurs du Bon Pas­teur.  Et nous tra­vail­lons dans de nom­breux domaines, prin­ci­pale­ment, bien sĂ»r, avec les migrants, les mineurs Ă©trangers non accom­pa­g­nĂ©s, les adultes, les mineurs ital­iens, Ă©gale­ment, sans Ă©du­ca­tion formelle Ă  l’é­cole ou dans la rue, et aus­si avec la poli­tique de l’emploi et avec des dif­fi­cultĂ©s Ă©conomiques, sociales ou psy­chologiques, etc.  En rela­tion avec le tra­vail que nous faisons avec les migrants, nous les aidons avec leurs prob­lĂšmes de san­tĂ©, les doc­u­ments admin­is­trat­ifs, et nous leur don­nons un sou­tien : le sou­tien social, Ă©conomique et psy­chologique.  Ces trois par­ties, en un mot, con­stituent l’in­té­gra­tion, et 80 % de l’in­té­gra­tion est liĂ©e Ă  l’emploi, car il est trĂšs impor­tant pour leur inté­gra­tion de tra­vailler dans ce domaine.  Nous accueil­lons nor­male­ment 380 bĂ©né­fi­ci­aires, et par­mi eux, 330 sont des migrants, des mineurs non accom­pa­g­nĂ©s, des adultes, des femmes avec enfants, et ils sont accueil­lis dans 44 struc­tures, dont 99 % sont situĂ©es dans une copro­priĂ©tĂ© et ne sont pas seuls.  Mais c’est la pre­miĂšre Ă©tape, trĂšs impor­tante pour inté­gr­er cela.  Pour nous, la copro­priĂ©tĂ©, et les per­son­nes qui vivent dans nos apparte­ments, sont nos col­lĂšgues de tra­vail.  Et c’est trĂšs impor­tant pour aider les gars Ă  s’in­té­gr­er, Ă  com­pren­dre la cul­ture.  Il y a env­i­ron six ans, nous avons crĂ©Ă© un groupe de tra­vail com­posĂ© de col­lĂšgues ital­iens et Ă©trangers qui sont d’an­ciens bĂ©né­fi­ci­aires de notre pro­jet, ou des per­son­nes qui ne tra­vail­lent pas avec nous mais qui Ă©taient d’an­ciens bĂ©né­fi­ci­aires et qui tra­vail­lent main­tenant dans d’autres domaines ou dans des ONG.  Et nous avons crĂ©Ă© ce groupe parce que nous voulons chang­er et crĂ©er un nou­veau mod­Úle d’in­té­gra­tion, parce que le pre­mier prob­lĂšme, le pre­mier besoin des immi­grants, des bĂ©né­fi­ci­aires, est d’avoir des doc­u­ments et de tra­vailler.  Ils ne se soucient pas de savoir si leur tra­vail est rĂ©guli­er ou non, avec un salaire cor­rect ou non.  Il est donc trĂšs dif­fi­cile, il Ă©tait trĂšs dif­fi­cile de les impli­quer dans des activ­itĂ©s qui organ­i­saient Ă©tape par Ă©tape leur autonomi­sa­tion.  La pre­miĂšre ques­tion que nous nous posons est de savoir pourquoi les bĂ©né­fi­ci­aires doivent se lever le matin, et nous com­mençons donc Ă  organ­is­er une chaĂźne d’ac­tiv­itĂ©s, des lab­o­ra­toires, en les organ­isant comme une bat­terie, pour les leçons, puis les exa­m­ens, par Ă©tapes, en com­mençant par une activ­itĂ©, par exem­ple, sur la san­tĂ©, puis sur l’é­conomie domes­tique, sur leur san­tĂ©, leur hygiĂšne, l’hy­giĂšne per­son­nelle et l’hy­giĂšne des espaces com­muns.  Ensuite, l’é­conomie domes­tique.  J’e­spĂšre que vous allez me com­pren­dre.  Par exem­ple, com­ment gĂ©r­er la rela­tion avec le colo­cataire, avec la per­son­ne qui vit dans l’autre apparte­ment, com­ment recy­cler, com­ment pay­er les fac­tures, et cetera.  Une autre Ă©tape est l’é­d­u­ca­tion civique, une autre est le sys­tĂšme juridique en Ital­ie et en com­mençant par cette Ă©tape, en com­mençant Ă  assis­ter Ă  cette Ă©tape, quand ils passent cette Ă©tape avec des exa­m­ens, nous les faisons pass­er de la grande struc­ture Ă  la petite struc­ture.  Quand cette par­tie est ter­minĂ©e, nous com­mençons avec des activ­itĂ©s d’au­tonomi­sa­tion dans le tra­vail, et nous organ­isons avant le stage qui est nor­mal pour nos activ­itĂ©s, avant cette Ă©tape nous com­mençons avec le lab­o­ra­toire de tra­vail Ă  l’in­tĂ©rieur du con­sor­tium liĂ© Ă  l’a­gri­cul­ture, la main­te­nance, l’élec­tricien, le restau­rant.  Et ces per­son­nes sont suiv­ies par un tuteur.  C’est comme un ate­lier, ce n’est pas un tra­vail, mais nous les payons aus­si, et en mĂȘme temps, le tuteur leur donne une note.  Par exem­ple, si l’un des sujets est l’heure Ă  laque­lle ils doivent arriv­er Ă  l’ate­lier, le deux­iĂšme est le code ves­ti­men­taire, le troisiĂšme est l’ef­fort qu’ils font dans leur tra­vail, et le dernier est la com­pé­tence.  Et nous leur don­nons la note trois, deux, un.  Et en fonc­tion de ce score, nous changeons le salaire que nous leur don­nons.  Lorsque je par­le de cela d’un point de vue social, la per­son­ne pense que ce type d’or­gan­i­sa­tion est un peu cru­el, qu’il n’est pas cor­rect d’u­tilis­er ce type de dif­fĂ©rences, car nous sommes trĂšs stricts Ă  ce sujet.  Par exem­ple, si un bĂ©né­fi­ci­aire doit arriv­er Ă  8h, et qu’il arrive Ă  8h, il a 3, s’il arrive Ă  8h01, il aura 2, s’il arrive Ă  8h16, il aura 1.  Avec le score 3, ils ont 5€ par heure, avec le score 2, 3.50€ avec un score de 1, 2.50€.  Ce n’est pas trĂšs impor­tant parce qu’il y a un algo­rithme qui ren­con­tre tous les scores, donc la dif­fĂ©rence est nor­male­ment de 50€, 100€, mais c’est trĂšs impor­tant, parce que nous savons qu’au dĂ©but, ils arriveront nor­male­ment non pas Ă  8h, mais Ă  8h20, 8h30, 8h40.  Quand nous avons com­mencĂ© avec ce genre de score, ils arrivent main­tenant Ă  chaque fois, 10 min­utes avant 8h00.  Ce n’est pas impor­tant d’ar­riv­er dans notre pro­jet Ă  8h00 moins 10, mais c’est trĂšs impor­tant parce que cette per­son­ne doit rester sur le marchĂ© et elle doit ĂȘtre trĂšs, trĂšs autonome aus­si, parce qu’elle a la con­cur­rence de l’autre per­son­ne.  Donc pour nous, c’est trĂšs impor­tant.  Et c’est un moment oĂč ils appren­nent beau­coup des aspects cul­turels liĂ©s au tra­vail.  C’est comme
  En Ital­ie, c’est l’al­phabĂ©ti­sa­tion, ils n’ap­pren­nent pas seule­ment la langue, mais ils appren­nent com­ment gĂ©r­er le tra­vail.  Ce type d’ac­tiv­itĂ© est nĂ© parce que notre derniĂšre expĂ©ri­ence a Ă©tĂ© d’en­tr­er directe­ment dans un stage en dehors du con­sor­tium.  Et bien sou­vent, ces per­son­nes Ă©chouaient, non pas parce qu’elles n’é­taient pas bonnes, mais parce qu’elles n’é­taient pas prĂȘtes Ă  rester sur le marchĂ©.  Il Ă©tait donc trĂšs, trĂšs impor­tant d’avoir ce genre d’ac­tiv­itĂ©s.  Je ne sais pas si
  Je peux rester Ă  ce stade.  Et si vous voulez, je peux mieux expli­quer, s’il y a des ques­tions, com­ment fonc­tionne notre lab­o­ra­toire, nos activitĂ©s.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci, Gabriele. C’é­tait trĂšs intĂ©res­sant, et j’ai enten­du aus­si, d’aprĂšs ce que vous avez dit au sujet de la cul­ture, c’é­tait aus­si trĂšs prĂ©sent, et je me sou­viens que Bri­an a par­lĂ© de la cul­ture, mais c’est une cul­ture dont nous avons besoin en tant que con­som­ma­teurs. Mais les pro­duc­teurs, et les per­son­nes qui ont une posi­tion pour tra­vailler, ont aus­si besoin d’une cul­ture qui peut ĂȘtre plus rĂ©gionale, vous savez, plus proche de leur lieu de vie, et la cul­ture des con­som­ma­teurs devrait ĂȘtre glob­ale. C’est donc quelque chose qui m’a frap­pĂ©.  Mais nous allons pour­suiv­re avec notre prochain inter­venant, le pro­fesseur Marc Ches­ney.  Il est le chef du dĂ©parte­ment de banque et de finance et du cen­tre de com­pé­tence en finance durable de l’u­ni­ver­sitĂ© de Zurich en Suisse, aprĂšs avoir Ă©tĂ© doyen asso­ciĂ© d’HEC Paris, auteur de “The Per­ma­nent Cri­sis :  L’oli­garchie finan­ciĂšre et l’échec de la dĂ©moc­ra­tie”.  Depuis de nom­breuses annĂ©es, il dĂ©veloppe une analyse cri­tique du secteur financier et de ses con­sĂ©quences sur l’é­conomie rĂ©elle, ain­si que sur la prise en otage des dĂ©moc­ra­ties.  Mon­sieur Ches­ney, vous avez la parole.

 

  1. MARC CHESNEY : Mer­ci. Mer­ci pour l’in­vi­ta­tion, Michel. Ce soir, je vais me con­cen­tr­er sur le tra­vail indé­cent. Indé­cent
  Qu’est-ce que ça veut dire ici ?  Indé­cent, bien qu’il garan­tisse un revenu trĂšs Ă©levĂ© et bien qu’il com­porte de trĂšs bonnes pro­tec­tions sociales.  Indé­cent, car il est liĂ© au cynisme et aux paris.  Nous allons donc nous con­cen­tr­er sur l’autre cĂŽtĂ© de la mĂ©daille.  Car il n’y a pas de tra­vail des enfants et d’esclavage sans cynisme.  Et donc je vais essay­er de com­pren­dre le con­texte, le con­texte financier et ce qui s’est passĂ© pen­dant les 13 ans de vie, entre, dis­ons, la fail­lite de la banque Lehman Broth­ers et les scan­dales asso­ciĂ©s au CrĂ©dit Suisse, les scan­dales rĂ©cents.  Je vais donc me con­cen­tr­er sur le secteur financier et, plus pré­cisé­ment, sur une trentaine de grandes ban­ques, des insti­tu­tions trop grandes pour faire fail­lite, sur 30 000 ban­ques.  Je vais donc me con­cen­tr­er sur ces insti­tu­tions too big to fail.  VoilĂ  le pro­gramme de cette soirĂ©e, donc encore une fois, je vais com­mencer par Lehman Broth­ers et je vais expli­quer le con­texte actuel, don­ner des exem­ples de pro­duits financiers tox­iques, de paris et de cynisme et con­clure sur une note pos­i­tive.  Je vais donc m’ap­puy­er sur mes livres, les chapitres deux et qua­tre, pré­cisé­ment.  Que s’est-il donc passĂ© il y a 13 ans avec la fail­lite de Lehman Broth­ers ?  C’est intĂ©res­sant, j’ai lu le dernier rap­port annuel, qui est tou­jours en ligne, trĂšs intĂ©res­sant.  Si vous avez le temps d’y jeter un coup d’Ɠil, vous trou­verez des mots tels que “per­for­mance record”, “rĂ©sul­tats for­mi­da­bles”, “efforts de ges­tion des tal­ents”, “excel­lence”, “con­cen­tra­tion sur la ges­tion des risques”.  Incroy­able. Quelques mois plus tard, ils ont dis­paru, ils ont fait fail­lite, mais ils se con­cen­traient sur l’ex­cel­lence et la ges­tion des risques.  Et cette banque Ă©tait cen­sĂ©e, selon son rap­port annuel, rĂ©pon­dre aux ques­tions sur le change­ment cli­ma­tique et se con­cen­tr­er Ă©gale­ment sur la dura­bil­itĂ©, la respon­s­abil­itĂ©, la phil­an­thropie.  Donc en gros, du green­wash­ing.  En ce qui con­cerne les agences de nota­tion, cette banque a reçu de bonnes notes encore quelques jours avant sa fail­lite, au moins A. Et le dernier PDG de cette banque a reçu entre 2000 et 2007, env­i­ron un demi-mil­liard de dol­lars, mal­grĂ© sa respon­s­abil­itĂ© dans la fail­lite.  Il s’ag­it donc d’un Ă©chec d’un ana­lyste financier, en gros, alors j’ai pris le temps de lire ce rap­port annuel.  C’est comme un puz­zle, il faut essay­er de com­pren­dre com­ment ça marche.  Et un seul ratio aurait Ă©tĂ© suff­isant pour com­pren­dre que la sit­u­a­tion Ă©tait trĂšs dan­gereuse.  Et ce ratio est de 50, qui appa­raĂźt ici, 50.  C’est le rap­port entre les activ­itĂ©s hors bilan et les activ­itĂ©s du bilan.  Donc en gros les activ­itĂ©s de bilan, c’est comme un ice­berg, donc ce que vous voyez, et les activ­itĂ©s hors bilan, ce que vous cachez en dessous de la table avec beau­coup de trans­ac­tions com­plex­es et dou­teuses.  Alors, qu’en est-il aujour­d’hui ?  En bref, parce que nous n’avons pas beau­coup de temps, en vert, vous avez le PIB mon­di­al jusqu’en 2019, env­i­ron 18 000 mil­liards de dol­lars.  En orange, vous avez la dette, la dette mon­di­ale, la dette privĂ©e et la dette publique ensem­ble.  Avant COVID-19, elle cor­re­spondait Ă  env­i­ron 300 % du PIB mon­di­al.  Aujour­d’hui, elle est d’en­v­i­ron 360 % du PIB mon­di­al.  C’est trop Ă©levĂ©, pour ĂȘtre clair, c’est trop Ă©levĂ© pour ĂȘtre rĂ©al­iste.  Il ne sera pas pos­si­ble pour les entre­pris­es, pour toutes les entre­pris­es et tous les pays de rem­bours­er ce niveau de dette Ă©norme.  Donc nous serons con­fron­tĂ©s et nous sommes dĂ©jĂ  con­fron­tĂ©s Ă  des dĂ©fauts de paiement ou des fail­lites.  Et dans ce genre de casi­no financier, il y a des paris, donc dans mon intro­duc­tion, j’ai par­lĂ© de cynisme, donc au mĂȘme moment oĂč dans les hĂŽpi­taux, les mĂ©decins avaient l’habi­tude de se bat­tre con­tre le COVID-19, de se sac­ri­fi­er, mĂȘme physique­ment, au mĂȘme moment, vous avez les hedge funds, qui pari­ent sur la fail­lite des entre­pris­es et des pays.  C’est du cynisme, pour ĂȘtre clair.  Et quels sont ces pro­duits ?  En rouge ici, vous avez ce qu’on appelle des pro­duits dĂ©rivĂ©s.  DĂšs que vous com­mencez Ă  Ă©tudi­er la finance, vous apprenez dans les manuels que ces pro­duits sont utiles aux entre­pris­es pour se cou­vrir con­tre les risques financiers.  Et c’est vrai, mais seul un petit pour­cent­age est util­isĂ© comme pro­duits de cou­ver­ture, car vous n’avez pas besoin de pro­duits de cou­ver­ture cor­re­spon­dant Ă  env­i­ron neuf fois le PIB mon­di­al.  Vous aurez besoin de pro­duits de cou­ver­ture cor­re­spon­dant peut-ĂȘtre Ă  20, 30, 40 % du PIB mon­di­al, mais pas Ă  neuf fois.  Le pour­cent­age restant, peut-ĂȘtre 99 %, cor­re­spond Ă  des paris sur les dĂ©fauts de paiement et les fail­lites.  Donc ici, une autre dia­pos­i­tive, j’ai gardĂ© le mĂȘme PIB mon­di­al, les mĂȘmes valeurs ici, le PIB mon­di­al, la dette, et les pro­duits dĂ©rivĂ©s et j’ai changĂ© l’échelle, et ici, nous avons l’échelle des trans­ac­tions finan­ciĂšres.  Tout sim­ple­ment Ă©norme, env­i­ron 150 fois le PIB.  Donc c’est telle­ment Ă©norme.  Je veux dire, tout ce qui est toutes les trans­ac­tions, toutes les trans­ac­tions Ă©lec­tron­iques.  C’est telle­ment Ă©norme que si ce niveau, ce vol­ume de trans­ac­tions Ă©lec­tron­iques Ă©tait con­sid­érĂ© comme une base d’im­po­si­tion, la micro-taxe d’en­v­i­ron 0,1 % serait suff­isante pour se dĂ©bar­rass­er de la TVA, par exem­ple, et pour aider de nom­breuses familles en Suisse et dans de nom­breux pays.  Bon, j’en viens aux pro­duits financiers, pour vous don­ner une idĂ©e en quelques mots.  Selon la SIX, donc la bourse en Suisse.  Nous avons ici des don­nĂ©es heb­do­madaires liĂ©es aux pro­duits dĂ©rivĂ©s.  Deux­iĂšme semaine d’oc­to­bre 2020, je sais qu’il est tard et je ne vais pas ren­tr­er dans les dĂ©tails, mais ce que vous voyez ici en dessous, autour des actions, dont j’e­spĂšre que vous voyez ma souris, les actions ici.  Donc les dĂ©rivĂ©s sur les actions, sur les cours bour­siers, en gros, le vol­ume cor­re­spond Ă  ce que vous voyez ici, entre 18 et 19 mil­lions de mil­liards de francs suiss­es, unique­ment pour la Suisse.  Donc en d’autres ter­mes, si vous com­parez cela au PIB, au PIB suisse, cela cor­re­spond Ă  26’000 fois le PIB suisse.  Je rĂ©pĂšte, 26 000 fois le PIB suisse. Pourquoi est-ce si Ă©norme ?  Et encore une fois, la rĂ©ponse est sim­ple, parce qu’une Ă©norme par­tie, une Ă©norme quan­titĂ© ici cor­re­spond aux paris et au cynisme.  Avançons.  Qu’en est-il aujour­d’hui, alors nous con­nais­sons la sit­u­a­tion ici de quelques don­nĂ©es sur deux ban­ques, les deux grandes ban­ques en Suisse, mais la sit­u­a­tion est sim­i­laire Ă  l’é­tranger aux États-Unis, en Alle­magne, en Angleterre, en France.  Les activ­itĂ©s hors bilan, les pro­duits dĂ©rivĂ©s, sont Ă©normes.  Elles cor­re­spondaient donc en 2019 pour Cred­it Suisse Ă  26 fois la taille du bilan, env­i­ron 30 fois le PIB suisse pour une banque, ces paris cor­re­spon­dent Ă  30 fois la taille du pays, et env­i­ron 25 % du PIB mon­di­al.  MĂȘme chose pour UBS, le mĂȘme genre de sit­u­a­tions.  Ces paris reprĂ©sen­tent donc 25 % du PIB mon­di­al, et 30 fois la taille du PIB suisse.  C’est intĂ©res­sant parce que si vous ĂȘtes un con­tribuable en Suisse, vous pou­vez ĂȘtre intĂ©ressĂ© par le risque des insti­tu­tions dites “too big to fail”.  Ce qui est nou­veau aujour­d’hui, c’est le secteur ban­caire par­al­lĂšle, qui exis­tait il y a 13 ans, mais qui est main­tenant beau­coup plus fort.  Alors, qu’est-ce que ça veut dire ?  Il s’ag­it d’in­sti­tu­tions finan­ciĂšres sans licence ban­caire.  Donc par exem­ple, Black Hawk n’est pas une banque, mais elle est trĂšs forte, beau­coup plus forte qu’il y a 13 ans.  Main­tenant, en par­lant de Cred­it Suisse, vous savez ce qui s’est passĂ© il y a quelques semaines.  Un pari Ă©norme du CrĂ©dit Suisse, avec deux fonds spĂ©cu­lat­ifs, essen­tielle­ment Arche­gos et Green­sill, les paris cor­re­spondaient Ă  env­i­ron 50 pour cent du cap­i­tal de la banque, 50 pour cent.  Et donc 20 mil­liards de francs suiss­es et 5 mil­liards ont Ă©tĂ© per­dus.  Et ce n’est pas fini.  Alors main­tenant, pour ĂȘtre con­cret, dans les derniĂšres min­utes de ma prĂ©sen­ta­tion, je voudrais don­ner un exem­ple de ces paris, qui sont hors bilan.  Un CDS, cred­it default swap.  Je sup­pose que la plu­part d’en­tre vous ne savent pas ce que c’est.  Per­me­t­tez-moi de com­mencer Ă  zĂ©ro et d’ex­pli­quer ce que c’est.  Si vous cherchez sur Google, vous trou­verez cette dĂ©f­i­ni­tion : Un CDS est un pro­duit dĂ©rivĂ© qui per­met Ă  son pro­prié­taire de se pro­tĂ©ger con­tre un risque de dĂ©fail­lance d’une entitĂ© de rĂ©fĂ©rence.  Donc, pour vous don­ner un exem­ple, sur ce graphique, vous voyez qu’une banque accorde un prĂȘt Ă  une entre­prise, un mon­tant X, par exem­ple, 10 mil­lions de francs suiss­es.  Entre la sociĂ©tĂ© et une com­pag­nie d’as­sur­ance, vous avez tou­jours des con­trats d’as­sur­ance, et si cette sociĂ©tĂ© ici Ă  droite est, dis­ons, une sociĂ©tĂ© de restau­ra­tion liĂ©e aux restau­rants ou aux hĂŽtels, au tourisme, sup­posons, il se peut que la banque ait accordĂ© le prĂȘt, par exem­ple, ici avant COVID-19, et pen­dant COVID-19, la banque craint que la sociĂ©tĂ© ne fasse fail­lite.  La banque va donc acheter un CDS, un cred­it default swap Ă  la com­pag­nie d’as­sur­ance.  Donc par exem­ple, si l’en­tre­prise ne rend que, dis­ons, 3 mil­lions au lieu de 10 mil­lions, la banque va activ­er son CDS.  Le CDS cor­re­spond, dans mon exem­ple, Ă  10 mil­lions de francs suiss­es.  Et la banque recevra la dif­fĂ©rence.  La dif­fĂ©rence, 7 mil­lions de francs suiss­es.  Jusqu’i­ci, tout va bien. Le CDS est utile.  C’est un con­trat d’as­sur­ance.  Main­tenant, si vous lisez
  Si vous creusez plus pro­fondé­ment dans Google, vous trou­verez ce com­men­taire.  “Il n’est pas nĂ©ces­saire d’ĂȘtre rĂ©elle­ment exposĂ© au risque des entitĂ©s de rĂ©fĂ©rence pour con­clure un con­trat de CDS.”  Je vais donc essay­er d’ex­pli­quer et de traduire.  Cela sig­ni­fie qu’il n’est pas nĂ©ces­saire pour une entre­prise d’ĂȘtre exposĂ©e au risque pour pou­voir se cou­vrir.  Qu’est-ce que cela sig­ni­fie ?  Si je ne pos­sĂšde pas de voiture, pourquoi devrais-je ĂȘtre autorisĂ© Ă  souscrire une assur­ance auto­mo­bile ?  Dans cet exem­ple, bien que je n’aie pas de voiture, j’au­rais le droit de souscrire une assur­ance auto­mo­bile, non pas pour ma voiture, car je n’en ai pas, mais peut-ĂȘtre pour celle du voisin, car je sais qu’il con­duit mal.  Il pour­rait avoir un acci­dent.  Donc, Ă©tant don­nĂ© que rien n’est rĂ©gle­men­tĂ© pour les CDS, pour les voitures, Ă©videm­ment c’est inter­dit sinon nous auri­ons beau­coup d’ac­ci­dents, mais ici dans ce cas, CDS, c’est autorisĂ©.  Donc si c’é­tait autorisĂ© pour les voitures, alors j’au­rais des inci­ta­tions peut-ĂȘtre Ă  iden­ti­fi­er le voisin qui con­duit trĂšs mal, et Ă  l’in­viter avant qu’il con­duise Ă  lui don­ner un verre d’al­cool pour ĂȘtre sĂ»r qu’il aura un acci­dent.  Et je ne vais pas acheter une seule assur­ance dite auto­mo­bile, mais 10, 20, 100, ce n’est pas rĂ©gle­men­tĂ©.  Donc lĂ  encore, pour les voitures, c’est inter­dit.  C’est inter­dit et c’est bon.  Pour les CDS dans le secteur financier, c’est encore autorisĂ© aujour­d’hui, 2021, donc vous avez des paris Ă©normes Ă  nou­veau sur la fail­lite des entre­pris­es, et cela crĂ©e un risque sys­tĂ©mique.  Donc Ă  la fin de la journĂ©e, dans mon exem­ple, la banque va acheter, au lieu d’a­cheter un CDS sur la sociĂ©tĂ© pour 10 mil­lions de francs suiss­es, elle va acheter peut-ĂȘtre 10 CDS, donc 10 fois 10, 100 mil­lions de francs suiss­es.  Pourquoi ?   La banque n’est exposĂ©e qu’à un seul risque, un risque max­i­mum de 10 mil­liards de francs suiss­es, pas 1 mil­lion.  En fin de compte, la banque fera un Ă©norme bĂ©né­fice si l’en­tre­prise fait fail­lite.  Enfin, l’une de ces entre­pris­es peut faire fail­lite.  Et comme elles sont trop gross­es pour faire fail­lite, c’est le con­tribuable qui paiera la fac­ture.  Au fait, ce n’est pas du libĂ©ral­isme. C’est quelque chose de dif­fĂ©rent, car le pre­mier principe du libĂ©ral­isme est trĂšs sim­ple.  Si vous vous engagez dans des activ­itĂ©s risquĂ©es, vous assumez les risques.  Et ici, ce n’est pas le cas, Ă©tant don­nĂ© que le con­tribuable assume les risques.  Les impacts soci­aux sont Ă©normes.  Donc ici vous avez la dis­tri­b­u­tion des revenus.  Que voit-on ? Rien, en gros, parce que nous avons ici une ligne hor­i­zon­tale pour 99,99 % de la pop­u­la­tion.  Et sur l’axe ver­ti­cal ici, vous avez le 0,01% restant.  Et ici, j’ai Ă©crit, con­cer­nant les revenus, pas en mil­liards, pas en mil­lions, mais en mil­liards de dol­lars ou de francs suiss­es.  Donc Jeff Bezos, par exem­ple, Ama­zon, Jeff Bezos le 20 juil­let a reçu 13 mil­liards, pas mil­lions, 13 mil­liards de francs suiss­es en un jour, la pre­miĂšre fois dans l’his­toire qu’une per­son­ne a pu s’en­richir de 13 mil­liards de dol­lars. Cela cor­re­spond en un jour Ă  deux fois ce que 1,3 mil­liard d’Africains ont reçu le mĂȘme jour.  Cela cor­re­spond aus­si Ă  10 fois la valeur du chĂąteau de Ver­sailles.  10 fois, pas en 50 ans, comme c’é­tait le cas pour le chĂąteau de Ver­sailles, en un jour.  Il faut donc ĂȘtre con­scient de cela, de l’autre cĂŽtĂ© de la mĂ©daille.  Et nous sommes con­fron­tĂ©s Ă  une dĂ©con­nex­ion entre le secteur financier en rouge ici et l’é­conomie rĂ©elle en vert.  Vous avez donc ici les cours des actions des plus grandes entre­pris­es amĂ©ri­caines en rouge, et les bĂ©né­fices de ces mĂȘmes entre­pris­es.  Et ce que vous voyez ici est sim­ple­ment une dĂ©con­nex­ion, qui est due Ă  quoi ? A la poli­tique moné­taire des ban­ques cen­trales.  Elles injectent une Ă©norme quan­titĂ© d’ar­gent dans le secteur financier, en espĂ©rant que le secteur financier accordera des prĂȘts Ă  l’é­conomie rĂ©elle.  Ce n’est pas vrai­ment le cas.  Et au lieu d’ob­serv­er rĂ©elle­ment une infla­tion dans l’é­conomie rĂ©elle, qui pour­rait venir, mais aujour­d’hui, tou­jours calme, nous avons observĂ© une infla­tion dans le secteur financier, ce qui sig­ni­fie que les prix des actions aug­mentent, con­tin­u­ent d’aug­menter.  Ok, main­tenant par­lons encore du tra­vail dĂ©cent et lais­sez-moi vous don­ner des exem­ples trĂšs pré­cis de cer­tains traders.  M. JĂ©rome Kerviel qui tra­vail­lait pour la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale Ă  Paris.  Il est allĂ© en prison parce qu’il Ă©tait accusĂ© d’une perte de 4,9 mil­liards d’eu­ros en 2007.  Et la police a pris ses e‑mails.  Je vais vous don­ner un exem­ple de ce qu’il a Ă©crit : “Dans une salle des marchĂ©s, le mode opĂ©ra­toire idĂ©al se rĂ©sume en une phrase : savoir pren­dre le max­i­mum de risques pour faire gag­n­er le max­i­mum d’ar­gent Ă  la banque.  Au nom d’une telle rĂšgle, les principes de pru­dence les plus Ă©lé­men­taires ne comptent pas pour grand-chose.  Au milieu de la grande orgie ban­caire, les traders ont la mĂȘme con­sid­éra­tion que n’im­porte quelle pros­ti­tuĂ©e moyenne.  La recon­nais­sance rapi­de que le chĂšque de paie d’au­jour­d’hui Ă©tait bon.”  Exem­ple numĂ©ro deux, M. Tourre, qui tra­vail­lait pour Gold­man Sachs et le proces­sus a Ă©tĂ© organ­isĂ© Ă  New York con­tre Gold­man Sachs, qui vendait des pro­duits dou­teux Ă  ses clients.  La police a pris ses emails.  Encore une fois, je cite : “Il y a de plus en plus d’ef­fet de levi­er dans le sys­tĂšme, donc de plus en plus de dettes.  L’ensem­ble de l’éd­i­fice peut s’ef­fon­dr­er Ă  tout moment.  Quand je pense qu’il y avait un peu de moi dans la crĂ©a­tion de ce pro­duit”, le genre de pro­duits dont il par­le ici, ce sont les pro­duits dĂ©rivĂ©s, les paris, “le genre de choses que l’on invente en se dis­ant : et si on crĂ©ait une machine qui ne sert Ă  rien du tout, qui est totale­ment con­ceptuelle et trĂšs thĂ©orique et que per­son­ne ne sait tar­ifer, ça fait mal au cƓur de la voir implos­er en plein vol.  C’est un peu comme si Franken­stein se retour­nait con­tre son inven­teur”.  TroisiĂšme exem­ple, M. Polk, un ancien trad­er qui a Ă©crit divers arti­cles dans le New York Times, et je cite : “Non seule­ment je n’aidais pas Ă  rĂ©soudre les prob­lĂšmes du monde, mais j’en prof­i­tais”.  Le cynisme.  “Lors de ma derniĂšre annĂ©e Ă  Wall Street, mon bonus Ă©tait de 3,6 mil­lions de dol­lars, et j’é­tais en colĂšre parce que ce n’é­tait pas assez impor­tant.  J’avais 30 ans.  Je n’avais pas d’en­fants Ă  Ă©lever, pas de dettes Ă  pay­er, pas d’ob­jec­tif phil­an­thropique en tĂȘte.  Je voulais plus d’ar­gent pour exacte­ment la mĂȘme rai­son qu’un alcoolique a besoin d’un autre verre :  J’é­tais dĂ©pen­dant.”  Donc, en rĂ©sumĂ©, trois exem­ples.  Le pre­mier se com­pare Ă  une pros­ti­tuĂ©e, le deux­iĂšme Ă  Franken­stein, et le troisiĂšme dit qu’il est dĂ©pen­dant.  Lais­sez-moi vous mon­tr­er un dernier exem­ple.  Un ancien directeur de Gold­man Sachs qui a quit­tĂ© cette banque et il a expliquĂ© pourquoi.  “Aujour­d’hui c’est mon dernier jour chez Gold­man Sachs. AprĂšs presque 12 ans dans cette entre­prise.  Je pense avoir tra­vail­lĂ© ici suff­isam­ment longtemps pour com­pren­dre la tra­jec­toire de sa cul­ture, de ses employĂ©s et de son iden­titĂ©.  Et je peux hon­nĂȘte­ment dire que l’en­vi­ron­nement actuel est aus­si tox­ique et destruc­teur que je ne l’ai jamais vu.  Pour exprimer le prob­lĂšme dans les ter­mes les plus sim­ples, les intĂ©rĂȘts du client con­tin­u­ent d’ĂȘtre mis de cĂŽtĂ© dans la maniĂšre dont le cab­i­net fonc­tionne et pense Ă  faire de l’ar­gent.”  Le cynisme.  Con­clu­sion, il ne s’ag­it donc pas seule­ment de la fail­lite d’une banque, Ă  savoir Lehman Broth­ers, mais de la fail­lite d’un sys­tĂšme de finance de casi­no, dans lequel les dettes, les paris et le cynisme l’emportent sur l’in­vestisse­ment sal­va­teur et la con­fi­ance.  Ce proces­sus plonge la sociĂ©tĂ© dans une crise per­ma­nente.  Les insti­tu­tions “too big to fail”, donc les grandes ban­ques, une trentaine de grandes ban­ques et les fonds spĂ©cu­lat­ifs, d’ailleurs, bĂ©né­fi­cient de toutes sortes d’a­van­tages et de garanties, donc des garanties de l’É­tat essen­tielle­ment, qui con­trastent forte­ment avec les principes du tra­vail qu’elles procla­ment.  Et enfin, il y a Ă©videm­ment des solu­tions, parce que je veux que tout le monde puisse dormir ce soir.  Et lĂ , je veux con­clure sur une note pos­i­tive.  Les solu­tions sont nom­breuses.  Par exem­ple, pour s’as­sur­er qu’il n’y a pas de pro­duits financiers tox­iques, un proces­sus de cer­ti­fi­ca­tion serait utile.  C’est le cas dans la plu­part des branch­es des secteurs : indus­trie auto­mo­bile, indus­trie phar­ma­ceu­tique, pourquoi pas dans l’in­dus­trie finan­ciĂšre ?  Et cetera.  Micro­tax, nous en avons par­lĂ©.  Micro­tax sur les paiements Ă©lec­tron­iques, point 6.  Le vol­ume des trans­ac­tions Ă©lec­tron­iques est telle­ment Ă©norme que la micro­taxe suf­fi­rait Ă  se dĂ©bar­rass­er de divers­es tax­es.  Les cours d’é­conomie et de finance devraient ĂȘtre adap­tĂ©s.  Je veux dire que nous devri­ons tir­er les leçons de ce qui s’est passĂ© en 2008, nous, je veux dire les pro­fesseurs, de ce qui s’est passĂ© en 2008 et aprĂšs.  Si vous com­parez le pro­gramme des cours, en gros 2006, 2007, 2008, et main­tenant, vous ver­rez des dif­fĂ©rences, mais pas assez.  Il est donc de la respon­s­abil­itĂ© des pro­fesseurs de s’as­sur­er que nous tirons des leçons.  Enfin, la sĂ©pa­ra­tion des ban­ques de dĂ©tail et d’in­vestisse­ment.  Le prĂ©si­dent Roo­sevelt a intro­duit en 1933 la loi dite Glass-Stea­gall, afin de sĂ©par­er, une fois encore, les ban­ques d’in­vestisse­ment des ban­ques de dĂ©tail.  Et cela a fonc­tion­nĂ©, car nous avons eu beau­coup moins de crises ban­caires entre, en par­ti­c­uli­er aprĂšs la Sec­onde Guerre mon­di­ale, et 1999.  Cette loi a Ă©tĂ© abrogĂ©e par le PrĂ©si­dent Clin­ton, mal­heureuse­ment.  Mer­ci de votre attention.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci beau­coup, Pro­fesseur. Je veux lire le dernier com­men­taire du chat­box, parce que c’est exacte­ment ce que je pense. M. Somers dit : “Mer­ci pour cette prĂ©sen­ta­tion trĂšs intĂ©res­sante et choquante”.  Il y a donc beau­coup de nou­veau con­tenu et c’est assez choquant.  Mer­ci.  Main­tenant, j’in­vite les par­tic­i­pants du webi­naire Ă  pos­er des ques­tions.  Nous avons dĂ©jĂ  trois ques­tions dans la boĂźte de ques­tions-rĂ©pons­es, donc je vais com­mencer douce­ment avec elles.  Mais vous ĂȘtes invitĂ©s Ă  ajouter d’autres ques­tions ou com­men­taires, et nous y vien­drons.  La pre­miĂšre ques­tion vient d’Is­abel Smith, et elle demande : “Avez-vous de l’e­spoir dans le tra­vail de Fair­phone et de la tech­nolo­gie Ă©quitable ?”  Qui souhaite rĂ©pon­dre, ou dire quelque chose ?

 

CRISTINA DURANTI : Nous con­nais­sons le tra­vail de Fair­phone parce qu’ils sont l’un des acteurs en RDC. Ils s’ef­for­cent de rassem­bler tous les acteurs pour amĂ©lior­er la respon­s­abil­itĂ© de la chaĂźne d’ap­pro­vi­sion­nement des bat­ter­ies.  Je dois dire que je suis per­son­nelle­ment un peu scep­tique car en l’ab­sence d’un parte­nar­i­at solide avec les organ­ismes publics qui doivent ĂȘtre pleine­ment engagĂ©s pour faire respecter les rĂšgles d’une part, mais aus­si pour fournir des alter­na­tives dĂ©centes, d’autre part.  Ce que cette opĂ©ra­tion peut faire, c’est tra­vailler sur les symp­tĂŽmes et non sur les caus­es, si je puis dire. C’est un con­cept un peu dif­fi­cile, mais beau­coup d’opĂ©ra­tions qui exam­i­nent les normes et la maniĂšre de les met­tre en Ɠuvre dans les chaĂźnes d’ap­pro­vi­sion­nement se con­cen­trent sur les symp­tĂŽmes.  Nous retirons donc les enfants des mines.  Nous met­tons les cha­peaux sur la tĂȘte des mineurs, nous prenons une belle pho­to et nous nous assurons que dans notre sys­tĂšme de chaĂźne de blocs, le dra­peau est prĂ©sent dans la case Ă  cocher.  Mais le prob­lĂšme majeur est que sans infra­struc­tures, sans ser­vices, sans sys­tĂšmes de pro­tec­tion sociale, ces normes ne peu­vent ĂȘtre appliquĂ©es de maniĂšre rĂ©aliste.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci beau­coup. Per­son­ne d’autre n’a rĂ©pon­du, nous avons donc la ques­tion suiv­ante, Mlle Patri­cia Myr­i­am Isi­mat demande et dit, “La cor­rup­tion est le prin­ci­pal prob­lĂšme. Alors quels sont les plans con­tre la cor­rup­tion ?”  Quelqu’un veut faire un com­men­taire ?  Ok, alors peut-ĂȘtre que nous y revien­drons plus tard.  Donc il y a un com­men­taire, il y a un com­men­taire.  “Mer­ci beau­coup au Pro­fesseur Ches­ney pour cette con­tri­bu­tion trĂšs intĂ©res­sante.  Il reste beau­coup Ă  faire, et je me demande si, au moins en Suisse, la FINMA sera Ă  la hau­teur de sa responsabilitĂ© ?”

 

  1. MARC CHESNEY : Je suis dĂ©solĂ©, c’est quoi F‑I-N-M‑A ?

 

  1. MIRJAM BEIKE : Je ne sais pas, FINMA ? Je ne sais pas
 Vous ĂȘtes muette.

 

  1. MARC CHESNEY : DĂ©solĂ©, FINMA. J’e­spĂšre. Mais ce n’est pas vrai­ment le cas aujour­d’hui parce que la FINMA devrait vĂ©ri­fi­er la qual­itĂ© de ces pro­duits financiers, mais elle per­met quand mĂȘme la dif­fu­sion de ces pro­duits aujour­d’hui. Donc il y a des pro­duits financiers, il y a des pro­duits financiers tox­iques aujour­d’hui que les clients peu­vent trou­ver et qui leur font per­dre beau­coup d’ar­gent. La FINMA devrait donc ĂȘtre beau­coup plus active dans ce domaine et vĂ©ri­fi­er si oui ou non ces pro­duits, ce qu’ils sig­ni­fient, s’ils sont utiles pour l’é­conomie, pour la sociĂ©tĂ©.  Si oui, ils devraient ĂȘtre autorisĂ©s. Si non, ils ne devraient pas l’ĂȘtre.  Et, vous savez, je veux dire, mĂȘme chose pour les mĂ©dica­ments.  Si nous sommes con­fron­tĂ©s Ă  des mĂ©dica­ments tox­iques, il est Ă©vi­dent qu’ils devraient ĂȘtre inter­dits et il devrait en ĂȘtre de mĂȘme pour les pro­duits financiers.  Mais ce n’est pas le cas, malheureusement.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Nous avons une autre ques­tion. “Je crois que les pop­u­la­tions locales ont besoin d’une cer­taine assis­tance juridique pour les informer de leurs droits et les aider Ă  nĂ©goci­er les con­di­tions de tra­vail, afin qu’elles ne soient pas exploitĂ©es par des entre­pris­es sans scrupules.  Com­ment pou­vons-nous faire en sorte qu’une telle assis­tance puisse ĂȘtre fournie ?”

 

CRISTINA DURANTI : Juste briĂšve­ment, Mir­jam, cela fait dĂ©fini­tive­ment par­tie de ce que nous faisons et de ce que font les autres ONG.  C’est un Ă©lé­ment clĂ© de notre inter­ven­tion pour Ă©du­quer les gens sur leurs droits en tant que citoyens et en tant que travailleurs.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Et je pense que vous en avez dĂ©jĂ  par­lĂ©, Cristi­na, parce que vous four­nissez ce ser­vice, vous savez ? Les ONG le font, mais bien sĂ»r, c’est aus­si un prob­lĂšme sys­tĂ©mique.  Main­tenant, il y a la ques­tion suiv­ante, “Est-ce qu’An­drea March­esani pour­rait rĂ©a­gir du point de vue du Vat­i­can Ă  la prĂ©sen­ta­tion du Pro­fesseur Ches­ney, en nous don­nant un aperçu de l’en­seigne­ment social Ă  ce sujet ?”.

 

ANDREA MARCHESANI : C’est un plaisir et je voudrais citer, je voudrais men­tion­ner que dans l’en­cy­clique Car­i­tas in ver­i­tate de BenoĂźt XVI, il y avait de nom­breuses par­ties sur cette ques­tion des prob­lĂšmes de dĂ©rĂ©gu­la­tion et d’a­n­ar­chie, si je peux utilis­er ce mot, c’est-Ă -dire dans le sys­tĂšme financier.  En 2018, mon dicas­tĂšre, le Dicas­tĂšre pour le dĂ©veloppe­ment humain inté­gral, en col­lab­o­ra­tion avec la Con­gré­ga­tion pour la doc­trine de l’Église, a pub­liĂ© un doc­u­ment, dont le nom latin est Oeco­nom­i­cae et Pecu­niarie Quaes­tiones.  Et il y a un chapitre sur ce sujet.  Et si je peux me per­me­t­tre, nous pou­vons syn­thé­tis­er en dis­ant que
  Cela com­mence par, comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, l’ar­gent est un bon instru­ment pour les lib­ertĂ©s et pour Ă©largir les pos­si­bil­itĂ©s de cha­cun, mais il peut facile­ment se retourn­er con­tre les hommes.  Ain­si, la dimen­sion finan­ciĂšre du monde des affaires, avec l’ac­cĂšs Ă  la bourse des entre­pris­es, peut avoir des con­sĂ©quences nĂ©ga­tives.  La richesse virtuelle, sim­ple­ment car­ac­tĂ©risĂ©e par une trans­ac­tion spĂ©cu­la­tive, attire en effet des quan­titĂ©s exces­sives de cap­i­taux dĂ©tournĂ©s de la cir­cu­la­tion au sein de l’é­conomie rĂ©elle. L’ac­cu­mu­la­tion de cap­i­tal trans­forme pro­gres­sive­ment le tra­vail en instru­ments et l’ar­gent en main.  Le rĂ©sul­tat est la prop­a­ga­tion d’une cul­ture du gaspillage, qui mar­gin­alise de grandes mass­es et les prive d’un tra­vail dĂ©cent.  Donc, en gros, je ne peux pas ajouter grand-chose sur cette par­tie du Pape.  Je ne veux pas faire de com­para­isons, mais le pro­fesseur Ches­ney et le mag­is­trat de l’Église se sont exprimĂ©s sur cette ques­tion Ă  de nom­breuses repris­es dans l’his­toire.  Et depuis la pre­miĂšre ency­clique de LĂ©on XIII, le Rerum novarum et tous les doc­u­ments soci­aux de l’Église.  Nous pou­vons con­cen­tr­er tout ce phĂ©nomĂšne mod­erne, comme les phĂ©nomĂšnes que nous avions avant, il y a deux siÚ­cles, com­ment ils cor­re­spon­dent Ă  la mĂȘme logique.  Aujour­d’hui, je voudrais dire que je vois qu’il y a une escalade du pou­voir, non seule­ment Ă  cause de la tech­nolo­gie, mais aus­si parce que beau­coup de choses ne sont pas rĂ©elles et sont dans le Web, sont dans un sys­tĂšme que vous ne pou­vez pas touch­er.  Et si avant cela, les prob­lĂšmes Ă©taient dans l’é­conomie rĂ©elle, aujour­d’hui nous assis­tons Ă  un autre
  À un phĂ©nomĂšne dif­fĂ©rent qui est beau­coup plus puis­sant et beau­coup plus dif­fi­cile Ă  contrĂŽler.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Il y a une autre ques­tion pour le pro­fesseur Ches­ney, “Revenu poten­tiel des micro tax­es sur les trans­ac­tions. Qu’y a‑t-il de nou­veau ?  Pourquoi n’est-il pas mis en Ɠuvre ?  Parce que la dis­cus­sion Ă  ce sujet n’est pas nouvelle”.

 

  1. MARC CHESNEY : Pré­cisé­ment, c’est nou­veau. C’est nou­veau. Cette Ă©norme quan­titĂ© de trans­ac­tions n’ex­is­tait pas il y a un siÚ­cle, ni mĂȘme il y a 50 ans. C’est nou­veau. Il cor­re­spond Ă  150 fois le PIB.  C’est donc quelque chose de nou­veau, dis­ons que ça a com­mencĂ© il y a 30, 40 ans, quelque chose comme ça, avec ce qu’on appelle la finan­cia­ri­sa­tion de l’é­conomie, c’est-Ă -dire que le secteur financier est en mesure de pren­dre le pou­voir et c’est quelque chose de nou­veau, ce n’é­tait pas le cas il y a 200 ans.  Donc d’im­pos­er sa logique Ă  l’é­conomie et Ă  la sociĂ©tĂ©.  C’est donc nou­veau parce que, encore une fois, ce vol­ume est Ă©norme et parce que ce n’est pas ce qu’on appelle la taxe Tobin, les gens en ont peut-ĂȘtre enten­du par­ler parce qu’i­ci, avec Tobin, l’idĂ©e Ă©tait de se con­cen­tr­er sur des trans­ac­tions spé­ci­fiques, sur les trans­ac­tions bour­siĂšres ou les trans­ac­tions en devis­es.  Ici, l’idĂ©e de la micro­taxe est de con­sid­ér­er toutes les trans­ac­tions Ă©lec­tron­iques sans excep­tion.  Donc, entre les ban­ques, avec les clients, si vous allez au restau­rant, chez le coif­feur ou autre, au dis­trib­u­teur, tout est soumis au mĂȘme taux, 0,1 %, quelque chose de trĂšs petit, la micro­taxe.  Donc c’est sim­ple.  Je veux dire, tech­nique­ment trĂšs sim­ple, poli­tique­ment, trĂšs dĂ©li­cat, trĂšs dĂ©li­cat, car Ă©videm­ment si la plu­part des ban­ques pou­vaient se met­tre d’ac­cord, je dis bien pour­raient se met­tre d’ac­cord car nous avons Ă©crit dans le doc­u­ment que les ban­ques seraient payĂ©es pour un tel tra­vail.  Donc, si elles col­lectent de l’ar­gent, de l’ar­gent des impĂŽts, elles devraient garder un pour­cent­age don­nĂ©, donc elles seront payĂ©es.  Donc pour les petites ban­ques, cela pour­rait avoir du sens.  Pour les grandes ban­ques, ce serait dif­fĂ©rent, car elles dĂ©pen­dent de ce qu’on appelle le trad­ing Ă  haute frĂ©quence, ce qui sig­ni­fie qu’elles achÚ­tent et vendent des actions Ă  la mil­lisec­onde ou Ă  la microsec­onde, pour ĂȘtre clair.  Il est donc Ă©vi­dent qu’elles paieront plus d’im­pĂŽts, qu’elles paieront plus d’im­pĂŽts que nous avec une micro­taxe, mais la plu­part des gens et des entre­pris­es paieront moins.  Ce serait donc un avan­tage pour, dis­ons, 99 % de la pop­u­la­tion et des entre­pris­es.  Mais le 1 % restant, ici nous par­lons des insti­tu­tions trop gross­es pour faire fail­lite, est Ă©videm­ment con­tre ce genre d’idĂ©e.  Merci.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Je tiens Ă  vous informer que Cristi­na Duran­ti a dĂ» par­tir. Nous avons quelques ques­tions con­cer­nant Kol­wezi, mais c’est Ă  nou­veau liĂ© Ă  la sit­u­a­tion de la cor­rup­tion. “Un tra­vail dĂ©cent Ă  Kol­wezi, dans un pays oĂč la plu­part des choses ne fonc­tion­nent pas, oĂč la cor­rup­tion est le prin­ci­pal prob­lĂšme, com­ment amĂ©lior­er les con­di­tions de tra­vail dans cette sit­u­a­tion avec une telle cor­rup­tion ?”.  Je veux don­ner une con­tri­bu­tion ou une idĂ©e, parce que je vivais dans un pays oĂč la cor­rup­tion est Ă©levĂ©e et je n’y Ă©tais pas habituĂ©, et j’ai eu une expli­ca­tion cul­turelle, que j’ai trou­vĂ©e trĂšs intĂ©res­sante.  C’é­tait un pays, donc, on pour­rait dire 500, 600 ans. Main­tenant il y avait une occu­pa­tion, il y avait une dic­tature.  Donc les gens ont appris Ă  ne pas faire con­fi­ance au gou­verne­ment.  Donc pour sur­vivre, ils devaient faire con­fi­ance Ă  la famille.  Et si le gou­verne­ment d’un pays passe Ă  la dĂ©moc­ra­tie, cela crĂ©e des con­flits, parce qu’aprĂšs tant de temps, 500 ans, vous ne pou­vez pas chang­er la men­tal­itĂ©, vous ne pou­vez pas chang­er cer­taines per­son­nes.  Mais si le gou­verne­ment n’est pas de notre cĂŽtĂ©, je pense que cela peut causer de la cor­rup­tion.  C’est donc une idĂ©e que j’ai sur le sujet, mais je ne don­nerais pas de con­fĂ©rence.  Je ne sais pas si vous pou­vez vous iden­ti­fi­er Ă  cela, ou si cela peut vous aider Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  la façon de traiter la cor­rup­tion dans ces pays pau­vres.  Alors.  Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave.  Je pense que mon approche pour­rait ĂȘtre intĂ©res­sante pour cer­taines des per­son­nes qui s’in­ter­ro­gent sur la cor­rup­tion. Ensuite, nous avons une ques­tion.  “Je ne suis pas sur­pris que le pape François ait Ă©crit “Cette Ă©conomie tue”, car nous sommes tous com­plices de ce sys­tĂšme tox­ique puisque nous util­isons les ban­ques, et ne posons peut-ĂȘtre pas de ques­tions Ă  notre sys­tĂšme bancaire.”

 

  1. MARC CHESNEY : Oui, nous devri­ons pos­er des ques­tions et essay­er de com­pren­dre les prob­lĂšmes, Ă©videm­ment, parce que nous sommes des citoyens et nous avons aus­si la respon­s­abil­itĂ© en tant que citoyens, d’es­say­er de com­pren­dre la com­plex­itĂ©. Le sys­tĂšme est trop com­plexe. Nous devons le sim­pli­fi­er, Ă©videmment.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Une ques­tion sur le change­ment sys­tĂ©mique. “A un cer­tain moment de l’his­toire, l’évo­lu­tion de l’é­conomie a dĂ©viĂ© de telle sorte qu’au­jour­d’hui l’esclavage mod­erne et le tra­vail indé­cent sont pos­si­bles et, d’une cer­taine maniĂšre, renta­bles. Les clients sont habituĂ©s Ă  des pro­duits bon marchĂ©, et les per­son­nes ayant peu de revenus peu­vent ne pas avoir les moyens de pay­er des pro­duits issus du com­merce Ă©quitable.  Les entre­pris­es de taille moyenne peu­vent avoir besoin de rĂ©duire leurs coĂ»ts de pro­duc­tion et/ou de main-d’Ɠu­vre pour rester com­pĂ©ti­tives.  Elles peu­vent se trou­ver dans un dilemme de ne pas ĂȘtre en mesure d’of­frir un tra­vail dĂ©cent.  Quel serait le point de dĂ©part pour chang­er l’ensem­ble du systĂšme ?”

 

BRIAN ISELIN : C’est comme deman­der la rĂ©ponse Ă  la vie, Ă  l’u­nivers et Ă  tout.  C’est la trĂšs grande ques­tion.  42, je pense, est la bonne rĂ©ponse, d’ailleurs.  S’at­ta­quer Ă  cette ques­tion est exacte­ment la rai­son pour laque­lle j’ai crĂ©Ă© Slave­free­trade.  Il y a 20 ans, lorsque j’ai tra­vail­lĂ© sur un cas d’esclavage, sur mon pre­mier cas de tra­vail for­cĂ© et de tra­vail des enfants, c’é­tait un garçon de 12 ans qui avait reçu une balle dans la tĂȘte et qui avait Ă©tĂ© jetĂ© par-dessus bord d’un bateau Ă  crevettes.  L’une des choses intĂ©res­santes que j’ai dĂ©cou­vertes au cours de cette enquĂȘte, c’est que les crevettes du bateau sur lequel se trou­vait le garçon, lui et deux de ses amis, ont Ă©tĂ© abat­tus pour ces crevettes, les crevettes ven­dues au pre­mier point de vente au mĂȘme prix que les crevettes d’un bateau voisin oĂč il s’agis­sait d’un bateau famil­ial et oĂč tout le monde Ă©tait bien traitĂ©.  Il n’y a pas de dif­fĂ©ren­ci­a­tion du tout pre­mier point de vente jusqu’à la fin.  Les pro­duits sans esclave et les pro­duits fab­riquĂ©s par des esclaves n’ont pas un prix dif­fĂ©rent.  Le marchĂ©, la chaĂźne de valeur, est com­plĂšte­ment aveu­gle aux con­di­tions dans lesquelles les pro­duits sont fab­riquĂ©s.  Il ne s’ag­it donc pas de bon marchĂ©.  Ce n’est pas une ques­tion de prix.  Un foulard d’une mar­que de luxe haut de gamme peut ĂȘtre fab­riquĂ© avec autant de tra­vail for­cĂ© ou de tra­vail des enfants qu’un foulard Ă  14 dol­lars.  Elle a juste une majo­ra­tion de 4 000 %.  Donc on ne par­le pas de
  Donc je dirais qu’il faut se dĂ©tach­er de l’idĂ©e que c’est une ques­tion de bon marchĂ©.  Un T‑shirt Ă  14 dol­lars reste un T‑shirt Ă  14 dol­lars si tous les acteurs de la chaĂźne de valeur reçoivent ce qu’ils devraient recevoir.  Si vous dĂ©com­posez la con­tri­bu­tion Ă  la valeur du T‑shirt Ă  14 dol­lars en coĂ»ts de main-d’Ɠu­vre impliquĂ©s dans sa fab­ri­ca­tion, vous pour­riez tripler les salaires des per­son­nes qui fab­riquent le T‑shirt sans que cela ait un effet Ă©vi­dent sur le prix de 14 dol­lars Ă  l’autre bout.  Et con­sid­érons Ă©gale­ment que sur ces 14 dol­lars, 61 % vont Ă  H&M, Zara ou qui que ce soit.  Donc mĂȘme s’ils devaient se rĂ©duire Ă  60,2 %, vous pour­riez encore tripler les salaires de toutes les per­son­nes impliquĂ©es dans la fab­ri­ca­tion de la chemise.  Il ne s’ag­it donc pas unique­ment de pro­duits bon marchĂ©, ce n’est pas un gros prob­lĂšme. Ce que nous devons faire, c’est encour­ager le rap­proche­ment entre les droits de l’homme et les rĂ©sul­tats, afin que ces derniers dĂ©pen­dent des droits de l’homme, car sinon, nous nous retrou­vons dans la mĂȘme sit­u­a­tion que dans le secteur financier, Ă  savoir que les gens n’ont pas de sens moral.  Et Ă  moins que nous ne fas­sions dĂ©pen­dre ces rĂ©sul­tats des droits de l’homme, ils ne chang­eront pas.  Je veux dire, vous regardez les ban­quiers qui font les choses dont le pro­fesseur Ches­ney par­lait.  Je veux dire, ces gens sont de la merde.  Ils font des choses affreuse­ment tox­iques.  Ils ont per­du leur bous­sole morale.  Ils n’ont aucune con­science.  Ce qui les intĂ©resse, c’est l’ar­gent.  Donc nous devons oubli­er le bien intrin­sĂšque.  Nous ne pou­vons pas par­ler du bien intrin­sĂšque Ă  ces gens.  Ce que nous devons dire, c’est que votre rĂ©sul­tat net, parce que nous avons des PDG, des action­naires, une lĂ©g­is­la­tion gou­verne­men­tale, des con­som­ma­teurs, des sociĂ©tĂ©s de ges­tion des investisse­ments, nous avons toutes ces par­ties prenantes, dis­ant que les droits de l’homme font main­tenant par­tie de votre rĂ©sul­tat net.  Faites-le bien ou nous n’achĂšterons pas chez vous.  Les organ­ismes de pas­sa­tion de marchĂ©s publics ont un rĂŽle clĂ© Ă  jouer dans le mĂȘme domaine, n’est-ce pas ?  La seule chose que nous puis­sions faire est donc de rĂ©u­nir tous ces acteurs de la demande, ces publics cibles, les investis­seurs, les entre­pris­es de marchĂ©s publics, les agences gou­verne­men­tales, les cab­i­nets d’av­o­cats, les con­som­ma­teurs, afin qu’ils fassent tous leur part pour stim­uler la demande.  Nous devons unir la demande parce qu’à l’heure actuelle, la demande est com­plĂšte­ment dĂ©sagrĂ©gĂ©e, mĂȘme d’un con­som­ma­teur Ă  l’autre.  La demande est com­plĂšte­ment agrĂ©gĂ©e.  H&M, ils font un excel­lent tra­vail de divi­sion des con­som­ma­teurs.  C’est ce qu’ils font.  Cela fait par­tie de leur mod­Úle Ă©conomique, de sorte que les con­som­ma­teurs ne se rassem­blent jamais con­tre H&M en nom­bre suff­isant pour faire la dif­fĂ©rence.  C’est pourquoi, en rĂ©u­nis­sant tous les acteurs sus­cep­ti­bles de for­muler des deman­des Ă  ce sujet, et c’est la mĂȘme chose dans le monde de la finance, ce sera la seule chose qui crĂ©era le change­ment, pour ĂȘtre franc.  Rap­procher les droits de l’homme et le rĂ©sul­tat net, de sorte que le rĂ©sul­tat net dĂ©pende des per­for­mances en matiĂšre de droits de l’homme.  C’est lĂ  que nous devons aller.  Et c’est Ă©norme, non ? C’est
  42.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un autre nom main­tenant, mais je suis ici et comme ça fonc­tionne. Alors main­tenant il y a une autre ques­tion, et elle dit ” En Alle­magne, il y a eu une ini­tia­tive poli­tique appelĂ©e Liefer­ket­tenge­setz, c’est-Ă -dire une loi de pro­tec­tion pour les chaĂźnes d’ap­pro­vi­sion­nement. Pensez-vous que cela pour­rait ĂȘtre un mod­Úle pour d’autres change­ments ?”  Oui, Bri­an. Muet ?

 

BRIAN ISELIN : Nous y voilĂ .  Oui, la nou­velle loi alle­mande sur la dili­gence raisonnable de la chaĂźne d’ap­pro­vi­sion­nement est sor­tie, la France en a une depuis longtemps, la NorvĂšge vient d’en faire une. De nom­breux pays sont en train de les dĂ©velop­per.  C’est une par­tie trĂšs impor­tante de l’un de ces, ce que j’ai men­tion­nĂ© aupar­a­vant, moteurs de la demande, n’est-ce pas ?  Donc, soudaine­ment, les 90 % d’en­tre­pris­es qui, selon le gou­verne­ment alle­mand lui-mĂȘme, ne respectent pas les droits de l’homme, ont main­tenant une loi que le gou­verne­ment alle­mand peut poten­tielle­ment utilis­er pour les pouss­er dans la bonne direc­tion.  Les per­son­nes qui, au sein des entre­pris­es, souhait­ent un change­ment, nous dis­ent sou­vent qu’une loi est nĂ©ces­saire parce qu’elles n’ont pas le pou­voir de faire Ă©voluer l’en­tre­prise.  Ils pointent du doigt et dis­ent : “Nous avons besoin d’une loi parce que nous pou­vons alors aller voir notre PDG et lui dire qu’il y a une loi”.  Ils ont donc besoin d’un sou­tien au sein de l’en­tre­prise pour pou­voir la faire Ă©voluer.  Les action­naires peu­vent com­mencer Ă  se mobilis­er autour de lois comme celle-ci.  Les scan­dales et la mau­vaise pub­lic­itĂ© dĂ©coulent de l’ex­is­tence d’une loi, et la vio­la­tion d’une loi est beau­coup plus grave qu’une vio­la­tion de l’éthique.  La loi est donc impor­tante en tant que piĂšce unique d’un trĂšs grand puz­zle de demande qui force les entre­pris­es dans la bonne direc­tion.  C’est ce que je dirais Ă  ce sujet.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Je pense qu’il est temps de con­clure. Je voudrais
 Il y a deux ques­tions et je pense que ce sont des ques­tions du monde et peut-ĂȘtre que cha­cun d’en­tre vous pour­rait dire une phrase pour y rĂ©pon­dre parce que c’est une rĂ©ponse Ă  tous les prob­lĂšmes. Donc la pre­miĂšre ques­tion est : “Que doit-il se pass­er, et oĂč sont les obsta­cles ?”  Une phrase, celui qui veut commencer.

 

BRIAN ISELIN : Ok, lais­sez-moi inter­venir.  La demande est com­plĂšte­ment non financĂ©e et sous-financĂ©e.  98, 99% de l’ar­gent con­sacrĂ© Ă  l’esclavage mod­erne et Ă  la traite des ĂȘtres humains est dĂ©pen­sĂ© pour des ini­tia­tives liĂ©es Ă  l’of­fre, pour essuy­er le lait ren­ver­sĂ©.  Il faut le faire dans tout rĂ©gime de traite­ment, mais en fin de compte, nous ne guĂ©ris­sons rien en faisant cela.  C’est vers la demande qu’il faut se tourn­er et elle n’est pas du tout financĂ©e.  J’ai dĂ» financer Slave­free­trade avec mes pro­pres Ă©conomies, c’est tout sim­ple­ment ridicule.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Merci.

 

ANDREA MARCHESANI : Si je peux me per­me­t­tre.  Comme Bri­an l’a dit, la demande.  Donc le prob­lĂšme de la demande est que nous devons chang­er le par­a­digme et donc nous avons besoin d’é­d­u­ca­tion.  Comme je l’ai dĂ©jĂ  dit, le remĂšde est l’é­d­u­ca­tion.  C’est l’é­vangĂ©li­sa­tion dans une per­spec­tive catholique et l’au­tonomi­sa­tion de la famille.  Parce que si nous don­nons du pou­voir Ă  la famille, nous don­nons du pou­voir aux tra­vailleurs et Ă  tra­vers la famille passe l’é­d­u­ca­tion.  Et donc le sys­tĂšme, tout est liĂ© et ce n’est pas une chose facile.  Mais nous devons y tra­vailler, je pense.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Mer­ci. Alors, d’ac­cord. Vous ĂȘtes en sourdine.

 

  1. MARC CHESNEY : L’ar­gent doit ĂȘtre perçu non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen d’ĂȘtre heureux, mais pas comme une fin en soi.Sinon, c’est une maladie.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Gabriele, une con­clu­sion ? Oui.

 

GABRIELE SPINA : Je ne sais pas si je peux rĂ©pon­dre Ă  cette ques­tion, parce que mon niveau est trĂšs, trĂšs bas, mais je pense, comme le dit Andrea, que c’est trĂšs impor­tant, la cul­ture, la respon­s­abil­i­sa­tion des gars, le con­som­ma­teur cri­tique.  Si vous devez dĂ©penser de l’ar­gent, com­ment vous pou­vez le dĂ©penser.  Bien sĂ»r, cela ne change pas la sit­u­a­tion, la sit­u­a­tion finan­ciĂšre que Marc a expliquĂ©e, bien sĂ»r, mais dans notre petite vie, com­pren­dre un peu de ces mĂ©can­ismes est impor­tant pour ĂȘtre con­scient et essay­er dans nos petites activ­itĂ©s de chang­er un tout petit morceau.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Merci.

 

ANDREA MARCHESANI : Si je peux ajouter une chose, je voudrais juste dire que le tra­vail est pour l’homme, et pas l’homme pour le tra­vail.  Et donc ce que nous voyons aujour­d’hui, c’est que beau­coup de gens sont, qu’ils sont volon­taire­ment con­traints par eux-mĂȘmes ou par leur tra­vail, parce qu’ils veu­lent attein­dre quelque chose.  Et nous pou­vons appel­er cela rĂ©al­i­sa­tion de soi, suc­cĂšs, tout cela.  Mais ce que nous appelons cette vie, c’est la rĂ©al­i­sa­tion Ă  tra­vers les rela­tions avec les autres, pas Ă  tra­vers nous-mĂȘmes et pas Ă  tra­vers notre travail.

 

  1. MIRJAM BEIKE : Merci.Et sur ce, je passe la parole Ă  Michel.

 

MICHEL VEUTHEY : Bon­soir.  Je voudrais vrai­ment exprimer ma grat­i­tude Ă  tous les inter­venants et par­tic­i­pants.  Nous avons eu jusqu’à 122 par­tic­i­pants de plus de 45 pays.  Je remer­cie tout par­ti­c­uliĂšre­ment Yves Reichen­bach, notre web­mas­ter, ain­si que mon assis­tante Ă  GenĂšve, Clara Isep­pi, et mes assis­tantes Ă  Nice, Pepi­ta Ale­many et Romane Diez.  Un enreg­istrement vidĂ©o de ce webi­naire sera disponible dans quelques jours sur notre site www.adlaudatosi.org.  Avec des sous-titres en anglais, français, alle­mand, ital­ien, russe, espag­nol et chi­nois.  Et n’hĂ©sitez pas Ă  partager le lien.  Notre cours en ligne en anglais sur la traite des ĂȘtres humains des­tinĂ© aux assis­tants est en passe d’ĂȘtre traduit en français.  Je vous souhaite le meilleur et vous invite Ă  nos prochains webi­naires en sep­tem­bre sur les droits de l’homme et la traite des ĂȘtres humains, en octo­bre sur les rĂ©fugiĂ©s et la traite des ĂȘtres humains, en novem­bre sur les migrants et la traite des ĂȘtres humains, et en dĂ©cem­bre sur les reli­gions con­tre la traite des ĂȘtres humains.  Nous envis­ageons Ă©gale­ment d’or­gan­is­er d’autres webi­naires sur des ques­tions spé­ci­fiques liĂ©es Ă  la traite des ĂȘtres humains.  Nous vous tien­drons infor­mĂ©s. Je vous remer­cie encore une fois.  Et meilleurs vƓux Ă  tous. Au revoir maintenant.

 

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