Esclavage moderne et travail décent — 9 JUIN 2021
Rejoignez-nous pour mieux comprendre le phénomène croissant de l’esclavage moderne, à travers les perspectives croisées d’un économiste, le professeur Marc Chesney, d’une experte en assistance aux victimes, Cristina Duranti, et d’un spécialiste de la chaîne d’approvisionnement, Brian Iselin, d’un représentant de la section Migrants & Réfugiés — Développement humain intégral du Vatican, Andrea Marchesani, et d’un psychologue, le Dr Gabriele Spina, qui aide les migrants et les jeunes qui travaillent dans une économie hyperconcurrentielle qui fonctionne trop souvent avec des emplois sous-payés. Comme l’ont démontré nos précédents séminaires, une nouvelle approche basée sur la demande de biens et services liés à la traite des êtres humains devrait être développée par tous les acteurs, les gouvernements, pour réduire et éradiquer l’esclavage moderne.
- Discours d’ouverture du Professeur Michel Veuthey, Ambassadeur de l’Ordre Souverain de Malte pour le suivi et la lutte contre la traite des personnes
- Sœur Mirjam Beike, RGS, modératrice, représentante auprès de l’ONU à Genève pour les Sœurs de Notre-Dame de Charité du Bon Pasteur. Elle a travaillé pendant 30 ans avec des survivants de la traite des êtres humains en Allemagne et en Albanie.
- Brian Iselin, fondateur de SLAVE FREE TRADE, surveille les chaînes d’approvisionnement et crée des outils pour responsabiliser les consommateurs.
- Cristina Duranti, directrice de GSIF Good Shepherd International Foundation qui a remporté le prix Stop Slavery de la Fondation Thomson Reuters pour son travail de lutte contre l’exploitation des enfants forcés à travailler dans les mines en RD Congo.
- Andrea Marchesani, conseiller spécial de l’Ordre de Malte, membre de la section des migrants et des réfugiés et du département du développement humain intégral du Saint-Siège.
- Gabriele Spina, psychologue, chef de projet pour le Consortium Il Nodo à Catane en Italie, en charge de la protection de la jeunesse et des migrants.
- Marc Chesney, Chef du Département de Banque et Finance et du Centre de Compétence en Finance Durable de l’Université de Zürich (Suisse), après avoir été doyen associé de HEC Paris, auteur de “The Permanent Crisis : The Financial Oligarchy and the Failure of Democracy”, il développe depuis de nombreuses années une analyse critique du secteur financier et de ses conséquences sur l’économie réelle et les conditions de travail.
TRANSCRIPTION
MICHEL VEUTHEY : Bienvenue à notre webinaire sur l’esclavage moderne et le travail décent. Depuis octobre dernier, nous avons organisé 12 webinaires sur la traite des êtres humains à la lumière des encycliques Laudato Si’ et Fratelli Tutti. Permettez-moi de vous montrer deux citations de ces encycliques. Tout d’abord, Laudato Si’, et vous voyez, “Tout effort pour protéger et améliorer notre monde implique des changements profonds dans les styles de vie, les modèles de production et de consommation, et les structures de pouvoir établies qui gouvernent les sociétés d’aujourd’hui. Le développement humain authentique a un caractère moral. Il suppose le plein respect de la personne humaine”, et ensuite, de dire que “Ces problèmes sont étroitement liés à une culture du jetable qui affecte les exclus tout comme elle réduit rapidement les choses”, et j’ajouterais les personnes, “à des déchets”. Et Fratelli Tutti, et vous voyez ici aussi une citation, paragraphe 24, “La traite des personnes et les autres formes contemporaines d’esclavage sont un problème mondial qui doit être pris au sérieux par l’humanité dans son ensemble : puisque les organisations criminelles utilisent des réseaux mondiaux pour atteindre leurs objectifs, les efforts pour éliminer ce phénomène exigent également un effort commun et, en fait, mondial de la part des différents secteurs de la société. Et en fait, depuis octobre, nous avons organisé 12 webinaires. Et dans nos 12 webinaires, nous avons souligné l’importance du travail des congrégations religieuses dans la défense et l’assistance aux victimes et aux survivants de la traite des êtres humains, au niveau local et international. Nous avons discuté du traumatisme infligé aux victimes et de la manière de le gérer avec les professionnels. Nous avons examiné les approches juridiques et pénales de la traite des êtres humains, compris les limites des poursuites pénales, et souligné la nécessité de développer un cadre juridique pour répondre à la demande de biens et de services produits par le travail esclave. Nous avons décrit des solutions telles que le modèle nordique, et la nécessité d’aider les femmes à échapper à la prostitution, de poursuivre les proxénètes, les “Johns”, mais pas les prostituées. Nous avons discuté du rôle des consommateurs, de la manière de les éduquer et d’encourager les producteurs à contrôler strictement leurs chaînes d’approvisionnement. Nous avons entendu des témoins sur le rôle de la technologie qui facilite la traite des personnes, sur la technologie utilisée à mauvais escient par les trafiquants d’êtres humains à toutes les étapes du crime, y compris le recrutement, le contrôle et l’exploitation des victimes, ainsi que sur la technologie utilisée pour prévenir et combattre la traite des personnes. L’esclavage moderne, qui est le contraire du travail décent, est en augmentation. Presque tout ce que nous consommons, des vêtements aux piles de nos téléphones portables, en passant par le poisson que nous mangeons, comporte une part de travail forcé et d’exploitation cachée dans sa production. Beaucoup d’entre nous, y compris les entreprises qui fabriquent les produits que nous achetons, n’ont aucune idée du moment ou de l’endroit où l’exploitation a lieu, et elle augmente chaque jour. Environ 45,8 millions de personnes vivent aujourd’hui dans des conditions proches de l’esclavage. C’est plus que la population de la Californie, du Canada ou de l’Argentine. Tous les pays du monde sont concernés. Et plus de 150 milliards de dollars de bénéfices sont générés chaque année par des entreprises qui emploient l’esclavage et l’exploitation. C’est plus que les revenus de Google, Microsoft, Apple, Exxon Mobil et JPMorgan Chase réunis. Aujourd’hui, nous discuterons de ce fléau de notre époque avec des experts. L’agriculture fournit des emplois à plus d’un milliard de personnes dans le monde. Pourtant, des millions d’agriculteurs et de travailleurs agricoles ne gagnent pas assez pour payer leurs besoins essentiels tels qu’une alimentation décente, un logement et une éducation, et encore moins pour épargner en cas de revers inattendus ou pour une retraite digne. 70 %, 70 % des plus de 152 millions d’enfants qui travaillent travaillent le font dans l’agriculture. La course aux prix les plus bas, notamment pour le café, le cacao et les bananes, signifie que le risque d’exploitation des enfants et des adultes s’aggrave. Par conséquent, les jeunes quittent en masse les communautés agricoles, pour se retrouver souvent dans des emplois informels et précaires dans les villes ou dans de plus grandes exploitations. (…) Cette année, la Journée mondiale contre le travail des enfants est axée sur les mesures prises en vue de l’Année internationale pour l’abolition du travail des enfants (2021). Il s’agit de la première Journée mondiale depuis la ratification universelle de la Convention 182 de l’OIT sur les pires formes de travail des enfants. Elle a lieu à un moment où la crise du COVID-19 menace d’annuler des années de progrès dans la lutte contre ce problème. Selon l’OIT, Organisation internationale du travail, le travail décent est un travail productif pour les femmes et les hommes dans des conditions de liberté, d’équité, de sécurité et de dignité humaine. En général, un travail est considéré comme décent lorsque : 1. il procure un revenu équitable. 2. Il garantit une forme d’emploi sûre et des conditions de travail sûres. 3. Il assure l’égalité des chances et de traitement pour tous. 4. Il comprend une protection sociale pour les travailleurs et leurs familles. 5. Elle offre des perspectives de développement personnel et favorise l’intégration sociale. Et 6. Les travailleurs sont libres d’exprimer leurs préoccupations et de s’organiser. Et pour certains d’entre nous, le travail décent résume les aspirations des personnes dans leur vie professionnelle. Et l’emploi productif et le travail décent sont des éléments clés pour parvenir à une mondialisation équitable et à une réduction de la pauvreté. Et maintenant, permettez-moi de remercier les orateurs d’aujourd’hui. Le premier sera Brian Iselin, sur la nécessité de vérifier les chaînes d’approvisionnement afin de réduire et de se débarrasser du travail esclave. Deuxièmement, Cristina Duranti, qui parlera de son expérience en matière de prévention et de lutte contre l’exploitation des enfants forcés de travailler dans les mines en Afrique et ailleurs. Troisièmement, Andrea Marchesani, qui parlera de l’enseignement social de l’Église catholique sur le travail décent et l’esclavage moderne, sur la base des Orientations pastorales. Puis Gabriele Spina, qui aide les migrants en Italie à échapper au travail esclave et les forme à s’intégrer vers un travail décent. Le dernier intervenant, le Professeur Marc Chesney, qui enseigne la finance à l’Université de Zürich en Suisse, aura une vision plus large du système économique actuel, qui conduit trop souvent à saper l’économie réelle et le travail décent. Alors merci à tous, et juste un mot, vous trouverez des documents, dont le rapport de l’OIT, de l’UNICEF et d’autres documents dans les “handouts” de ce webinaire. N’hésitez pas à les télécharger et à les partager. Et je voudrais également remercier Sœur Mirjam Beike, co-organisatrice de ce webinaire, représentante à l’ONU à Genève pour les Sœurs de Notre Dame de la Charité du Bon Pasteur, qui a travaillé pendant 30 ans avec des survivants de la traite en Allemagne et en Albanie, et qui va maintenant prendre le relais en tant que modératrice de ce webinaire. Mirjam, vous avez la parole. Merci.
- MIRJAM BEIKE : Merci beaucoup, Michel. Nous allons donc commencer ce webinaire. Et je donne la parole à Brian pour qu’il fasse une introduction et explique davantage de quoi il s’agit. Beaucoup d’entre vous le connaissent déjà. C’est un ancien soldat australien et agent fédéral, fondateur de Slavefreetrade, une organisation à but non lucratif basée à Genève qui s’efforce de tirer parti de la puissance de la blockchain pour débarrasser le monde du travail forcé. Brian, vous avez la parole.
BRIAN ISELIN : Merci beaucoup de me recevoir à nouveau, Sœur Mirjam et Michel. J’espère que tout le monde peut bien m’entendre. Comme l’a dit sœur Mirjam, dans ma vie antérieure, j’ai été soldat et agent fédéral. Je me suis spécialisé dans la lutte contre le crime organisé et le contre-espionnage pendant 19 ans. Et puis pendant les 19 dernières années, ma vie a été plus longue que je n’en ai l’air, n’est-ce pas ? Je me suis spécialisé dans la conduite d’opérations contre l’esclavage dans le monde entier. Et pendant tout ce temps, j’ai appris une chose qui est très, très importante, c’est de déterminer rapidement ce qui est et de rester concentré sur le problème réel, pas les problèmes perçus, mais le problème réel. Laissez-moi vous expliquer, du point de vue de la traite des êtres humains, de l’esclavage moderne et de la justice pénale, que lorsque vous êtes confronté à quelqu’un qui a un couteau et une mauvaise attitude envers vous, le problème n’est pas le couteau dans la main. Le vrai problème est le gars derrière. Le couteau devient en fait une distraction et non le problème, car je peux neutraliser le couteau, mais le type derrière sera toujours là, tout comme la mauvaise attitude, ce qui signifie qu’il cherchera simplement un autre moyen de faire ce qu’il allait faire de toute façon. C’est ce qu’on appelle l’effet de déplacement, et cela signifie que le problème est traité mais pas guéri, et c’est exactement ce que nous faisons et ce que nous faisons depuis des décennies sur l’esclavage moderne et la traite des êtres humains. Nous parlons donc de durabilité dans les affaires, et étant donné cette analogie avec le couteau, parlons un instant de ce qui est réellement le problème auquel nous sommes tous confrontés ici. Ce n’est pas la pauvreté, ce ne sont pas les abus sexuels, ce n’est pas le genre, ce n’est pas le chômage, la migration, qu’elle soit documentée ou non. Le problème auquel nous sommes confrontés est celui d’une personne qui fait le choix moral et économique d’exploiter le travail d’une autre personne. C’est l’essence même de ce dont nous parlons lorsque nous parlons du côté de la demande de l’équation : quelqu’un qui prend une décision préméditée ou opportuniste d’exploiter le travail d’une autre personne et, ce faisant, la prive du travail décent que Michel décrivait précédemment. Or, c’est la personne à l’origine de cette décision, celle qui se trouve derrière ce couteau, que nous examinons lorsque nous essayons d’aborder la question de la demande. Il faut savoir que plus de 98 % des dépenses mondiales consacrées à l’esclavage moderne sont consacrées à l’offre, c’est-à-dire au déplacement des personnes. Le problème pour quiconque s’attaque à l’esclavage moderne est donc de savoir comment prendre en compte les hommes d’affaires qui ne trouvent pas de place pour le bien intrinsèque dans leurs affaires et qui violent les droits de l’homme parce que cela ne nuit pas à leurs affaires. C’est ainsi que j’ai créé Slavefreetrade il y a quatre ans. Né, disons, de la frustration et de l’inutilité après des années passées à désarmer les gens, pour les voir recommencer encore et encore, je me suis dit que c’était mal. Nous avons besoin d’une réponse systémique à ce problème systémique. Et donc, attaquons-nous au problème réel au lieu de nous contenter de tracer et de déplacer. Voyons si nous pouvons investir dans un remède. Maintenant, il est très important de se rappeler que les esclavagistes et les exploiteurs ne sont pas tous des durs à cuire. J’en ai rencontré beaucoup au fil des ans. Ils ne sont pas tous des ratbags complets. Beaucoup d’entre eux sont juste des utilisateurs opportunistes de personnes comme une grande partie de la population mondiale. Regardons les choses en face. Certains d’entre vous trouveront ce point de vue cynique, mais nos solutions ne peuvent pas être justes, ou ne peuvent pas être réellement axées sur le bien intrinsèque. Cela doit toujours se résumer à l’argent. Nous pouvons donner à ces esclavagistes et exploiteurs un meilleur endroit où être, mais en fait, il faut que ce soit un meilleur marché où être. Il faut qu’ils aient envie d’y aller pour des raisons commerciales et d’auto-motivation. Cela signifie donc qu’il faut adopter une toute nouvelle façon de penser l’esclavage moderne, reconceptualiser les droits de l’homme sur les lieux de travail et construire un nouveau modèle économique qui avantage votre entreprise si vous respectez les droits de l’homme. Mais la question centrale que je me suis posée en créant Slavefreetrade était de savoir comment rendre le respect du travail décent payant. Et à quoi ressemblerait un marché dans lequel vous ne pourriez pas participer si vous n’êtes pas prêt à le faire ? Mais pour garantir un travail décent sur un plus grand nombre de lieux de travail dans le monde, nous devons créer ce modèle économique qui dit que votre performance en matière de droits de l’homme n’est pas parallèle, elle ne fait pas partie d’un triple résultat. Il s’agit d’une partie intégrante de vos résultats, ce qui revient à faire jouer les forces du marché pour renforcer les bons comportements. Et il est clair que nous ne parlons pas d’un petit exercice. Comme Michel l’a indiqué précédemment, nous parlons de dizaines, de centaines de millions d’enfants soumis au travail des enfants et d’adultes soumis au travail forcé. Grâce au COVID, je pense que nous avons tous pris conscience de la fréquence à laquelle nous touchons notre visage dans une journée, mais en fait, nous touchons l’esclavage plus souvent que nous ne touchons notre visage dans une journée. De votre tasse de café du matin aux iPhones, en passant par les shampooings et le mascara, lorsque vous pensez à COVID et au fait de toucher votre visage, c’est une image très puissante pour réaliser à quel point vous touchez l’esclavage. J’ai très vite réalisé, en essayant de mettre en place un tel système, que nous devions être en mesure d’évoluer massivement, ce qui signifie que nous devons être en mesure d’automatiser à nouveau massivement, et donc de recourir à la technologie. Tous les systèmes d’audit et de certification dans le monde, comme FairTrade, par exemple, se sont heurtés à cette barrière. Si vous ne pouvez pas automatiser, vous ne pouvez pas évoluer. Si vous ne pouvez pas changer d’échelle, vous ne pourrez jamais vous approcher, même au radar, de la résolution d’un problème de cette ampleur. Ce que nous devons faire, c’est arrêter de nous concentrer sur le négatif. Slavefreetrade est une approche complètement positiviste. Nous devons cesser de nous mêler de ce qui se passe à l’extrémité obscure du spectre des droits de l’homme, parce que la seule façon de détecter ce qui se passe à la pire extrémité est que des gens comme moi partent enquêter. Et cela a un rôle à jouer. Mais cela ne pourra jamais être automatisé et ne pourra jamais être étendu. Donc, il y aura toujours de très petites choses. Et il suffit de regarder le nombre de poursuites engagées dans le monde en matière de traite des êtres humains pour se rendre compte que ce n’est pas grand-chose. Pensez donc de la manière suivante : les droits de l’homme sur les lieux de travail, à l’échelle mondiale, universelle, existent sur un spectre. Alors que se passe-t-il si nous changeons d’objectif, si nous levons le regard au lieu de le porter sur l’extrémité sombre du spectre en cherchant à guérir plutôt qu’à traiter ? À quoi ressemblerait un programme de vaccination mondial ? Les droits de l’homme sur le lieu de travail se situent sur ce même spectre. À l’une des extrémités du spectre se trouve cette mare obscure appelée esclavage moderne, et puis cette reconceptualisation, ce nouveau regard sur les droits de l’homme et l’esclavage moderne. Vous pouvez oublier pour l’instant toutes les définitions juridiques qui le composent. Vous n’avez pas besoin, à titre personnel, d’être capable de faire une distinction juridique entre le travail forcé et la traite des êtres humains. C’est un terrier de lapin dans lequel beaucoup de gens s’enferment. Cela ne fait que peu ou pas de différence pour la victime et cela ne fait que peu ou pas de différence si nous parlons de déplacer notre attention, d’élever notre attention vers l’extrémité positive du spectre. La piscine trouble et fétide du fond est caractérisée par un faible respect des droits de l’homme, soit quelques droits extrêmement érodés, soit beaucoup d’entre eux pourraient l’être. Dans tous les cas, nous pouvons simplement savoir que la vie est plutôt pourrie à cette extrémité du spectre. À l’extrême droite du spectre se trouve cet endroit paradisiaque et délicieux avec des fontaines de chocolat chaud, coulant et sans esclaves. Ça, c’est du travail décent. Mais le travail décent est à l’opposé du même spectre que l’esclavage moderne. Et ce que nous devons faire, c’est prouver l’existence d’une culture de respect des droits de l’homme sur un lieu de travail. Nous prouvons qu’un lieu de travail est plus proche de l’extrémité du travail décent. Et ce faisant, sans même y penser, nous avons réfuté l’existence de l’esclavage moderne, car le travail décent et l’esclavage moderne sont aux antipodes l’un de l’autre. Ils sont comme de la kryptonite l’un pour l’autre, ils ne coexistent pas. Mais plus encore, tous les problèmes liés aux droits de l’homme, qu’il s’agisse de l’écart de rémunération entre hommes et femmes, du travail forcé ou de la discrimination raciale, sont tous issus d’une culture. L’esclavage moderne n’est jamais un cas isolé sur un lieu de travail. Si vous identifiez la culture, vous pouvez identifier le problème. Plus un lieu de travail se rapproche de la notion de travail décent, moins il est susceptible de présenter des problèmes liés aux droits de l’homme. C’est donc ce que nous devions faire. Pour rendre possible cet examen des lieux de travail, il nous fallait d’abord une norme pour définir le travail décent et le spectre de l’esclavage moderne. Vous ne serez peut-être pas surpris d’apprendre qu’il y a quatre ans à peine, lorsque j’ai lancé Slavefreetrade, il n’existait pas de cadre efficace pouvant être mis en œuvre et définissant le travail décent dans la vie réelle. Nous devions le mettre en place. Nous devions le faire. Nous avons donc passé les deux premières années à le faire. Nous avons également décidé à ce moment-là, par principe, que tout cadre de ce type devait être universel. J’espère que vous serez d’accord avec moi lorsque je dis qu’il est tout à fait insatisfaisant pour un modèle de dire qu’un travailleur de plantation dans un pays doit travailler dans un lieu où les normes en matière de droits de l’homme sont inférieures à celles d’un travailleur de la grande distribution en Angleterre ou d’un banquier à New York. Nous disposons d’un vaste corpus de lois internationales sur les droits de l’homme et nos droits sont universellement reconnus. Nous n’avons pas besoin de nouvelles lois. Et pourtant, malgré l’existence de ce droit international convenu en la matière, c’est une triste caractéristique, disons, du monde des affaires mondial, que le corps de droit international convenu est un élément insignifiant au jour le jour. Je suis ici pour vous dire, j’ai entendu des milliers d’entreprises, elles disent simplement que les droits de l’homme ne sont pas à leur ordre du jour. Mais l’une des raisons de ce manque de pertinence, c’est que c’est tellement ésotérique, comme vous le savez tous, que ce n’est pas opérationnel. Si vous pensez que la plupart des organisations comprennent leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme, si vous allez demander à quelqu’un chez H&M quelles sont ses obligations internationales en matière de droits de l’homme, vous verrez qu’environ deux personnes le savent. Vous vous bercez d’illusions si vous pensez que les lieux de travail ou les entreprises comprennent cela. Et si vous pensez qu’ils ont les moyens de rendre opérationnels les traités relatifs aux droits de l’homme, vous vous trompez complètement. Nous devons donc concrétiser quelque chose, quelque chose de très opérationnel, pour que les entreprises comprennent ce que nous entendons réellement par droits de l’homme sur le lieu de travail. Nous avons donc opté pour une définition et un cadre opérationnels universels. Nous avons donc choisi tous les points du droit international des droits de l’homme existants, universellement reconnus, qui concernent les droits et les conditions de travail. Comme je l’ai dit, nous n’avons pas besoin de nouvelles lois. Tous les droits sont déjà présents dans le cadre international. Nous sommes donc parvenus à un ensemble de dix principes pour un travail décent, allant de l’absence de travail forcé à l’égalité de rémunération, en passant par l’absence de discrimination, la santé et la sécurité au travail, etc. Ces dix principes fonctionnent en cascade. Sous chacun d’eux se trouve une poignée de conditions relatives aux droits de l’homme. Et si vous respectez bien tous ces principes, vous avez objectivement un très bon lieu de travail. J’aime utiliser l’expression “les droits de l’homme sont les nouvelles ressources humaines”. Je veux dire, c’est vraiment ce que les ressources humaines auraient toujours dû être, non ? Il est beaucoup plus important de savoir qu’il n’y a pas d’écart de rémunération entre les hommes et les femmes ou de discrimination raciale sur le lieu de travail, que de savoir que vous avez des capsules Nespresso disponibles. Pour le rendre opérationnel, nous avons donc dû passer à l’étape suivante, à savoir la rationalisation de ces 10 principes qui recouvrent 25 questions individuelles relatives aux droits de l’homme. Nous sommes confrontés au problème. Nous devons le faire connaître à ceux qui peuvent nous dire ce qui se passe réellement sur un lieu de travail. Cela signifie qu’il faut demander à tout le monde sur le lieu de travail, très simplement, comme je le fais lorsque je vais enquêter. Je demande à tous ceux que je peux comment est leur vie. Sous chaque condition se trouve donc une poignée d’indicateurs. Ce sont les choses que vous recherchez pendant une enquête. Nous arrivons finalement à un ensemble global de 100 indicateurs pour un lieu de travail respectueux des droits de l’homme et sans esclavage. Si quelqu’un me demande pourquoi 100, c’est tout simplement parce qu’un seul indicateur est insuffisant et que 1 000 indicateurs sont trop nombreux pour être opérationnels. Nous devions donc aller bien au-delà de toutes les normes de certification et d’audit existantes, par exemple, et des normes de durabilité sociale. Toutes les normes existantes pour ce que l’on appelle le S de l’ESG sont entièrement basées sur ce que nous pourrions appeler la vision de l’entreprise. Si vous regardez n’importe quel modèle de certification existant, de B Corp à Dow Jones, en passant par la Global Reporting Initiative, le commerce équitable, toutes les agences de notation de la durabilité et même les applications pour consommateurs qui vous disent que vous pouvez sourire lorsque vous achetez cette robe en polyester, leur preuve est essentiellement le point de vue de l’entreprise. Je ne dis pas que nous ne saisissons pas le point de vue de l’entreprise, mais il doit être corroboré par les personnes sur les lieux de travail, qui sont en fin de compte les meilleurs arbitres de leurs conditions. Alors comment savoir quel est le goût de la tarte sous la croûte ? Nous devons faire ce que presque personne d’autre ne fait. Nous demandons à ceux qui mangent la tarte. Pour Slavefreetrade, ce que nous faisons, c’est un processus, un modèle d’adhésion selon lequel une organisation rejoint Slavefreetrade pour devenir conforme aux droits de l’homme, pour prouver qu’elle est conforme aux droits de l’homme par le biais d’une évaluation et d’un contrôle continus, permanents et en temps réel de ces 100 indicateurs. Et permettez-moi de résumer deux processus fondamentaux importants que nous appelons l’alignement des valeurs et l’évaluation de la main-d’œuvre. L’alignement des valeurs est le point de vue de l’entreprise, qui s’assure qu’elle dispose de tous les outils politiques dont elle a besoin pour régler les problèmes lorsqu’il y en a, et l’évaluation de la main-d’œuvre est le point de vue individuel. Nous demandons donc à chaque personne, sur chaque lieu de travail, de nous parler de ses conditions de travail sur une base mensuelle continue. Nous obtenons ainsi une vision à 360 degrés de ce qui se passe sur les lieux de travail, à partir des personnes qui s’y trouvent. Et nous corroborons cela avec la vision de l’entreprise.
- MIRJAM BEIKE : Merci, Brian. Merci beaucoup. Et je pense que ce sera aussi intéressant plus tard, nous aurons du temps pour les questions et les réponses. Donc vous pourrez répondre s’il y a des questions, et je pense qu’il y en aura. J’ai trouvé cela très intéressant, car vous avez commencé par le contexte, la réponse systémique à un problème systémique. Et comme vous l’avez dit, pour se concentrer sur le positif, il est bien mieux d’avoir des droits de l’homme sur le lieu de travail que de savoir que vous avez du café bon marché là-bas. Vous nous avez donc expliqué la véritable cause profonde. Et c’est très intéressant pour le début. Nous allons maintenant entendre le travail pratique du Dr Cristina Duranti. Elle est la directrice de la Fondation internationale du Bon Pasteur, qui a remporté le prix Thomson Reuters et le prix Stop Slavery pour son travail de lutte contre l’exploitation des enfants forcés de travailler dans les mines de la République démocratique du Congo. Et je suis heureux d’entendre ce que vous avez à nous dire sur ce sujet. Vous avez la parole, Cristina.
CRISTINA DURANTI : Merci encore pour cette très aimable invitation au Professeur Veuthey et à Mirjam. Je suis très intéressée de partager avec vous ce que nous apprenons sur ce sujet très critique pour nous tous qui sommes impliqués dans le développement et la protection et la promotion des droits de l’homme. Très brièvement, la Fondation internationale du Bon Pasteur travaille avec les sœurs du Bon Pasteur dans 37 pays d’Asie, d’Amérique latine, d’Afrique et du Moyen-Orient. Nous soutenons leurs missions dans certains des contextes les plus difficiles et les plus fragiles du monde. Nous nous concentrons sur les filles, les femmes et les enfants et notre mode de fonctionnement, notre modèle d’intervention, consiste à promouvoir le développement intégral de l’être humain dans le contexte de leurs communautés. J’ai été invitée à partager avec vous notre expérience, en commençant par ce que nous faisons en RDC, la République démocratique du Congo, où nous menons ce programme assez important, c’est l’un de nos plus grands programmes axés sur l’ASM. L’ASM signifie “exploitation minière artisanale et à petite échelle”, et plus particulièrement dans une région de la RDC bien connue du monde entier, car elle fournit certaines des matières premières les plus convoitées qui alimentent nos systèmes industriels. Nous nous concentrons aujourd’hui particulièrement sur le cobalt, l’extraction de ce minerai très, très convoité pour la production de batteries lithium-ion. Vous pouvez donc imaginer que cette région est devenue l’un des points chauds du monde en termes d’exploitation minière et d’extraction. J’ai déjà été invitée à parler du travail des enfants en particulier, car c’est l’un des principaux objectifs de notre travail à Kolwezi. Nous avons réalisé, lorsque les sœurs du Bon Pasteur sont arrivées à Kolwezi, la capitale du Lualaba, ancienne province du Katanga au sud de la RDC, que le travail forcé des enfants et en particulier les pires formes de travail des enfants, telles que définies par l’OIT, étaient vraiment répandues dans les petites communautés de la ville de Kolwezi et de ses environs. Nous avons donc commencé à nous attaquer à ce problème et, au cours des huit dernières années, nous avons globalement sorti environ 4 000 enfants des mines et les avons soutenus dans l’éducation formelle par le biais d’un programme de développement communautaire impliquant les familles et les communautés. Cependant, aujourd’hui, en raison de l’objectif spécifique du webinaire, je voulais vous donner une description un peu plus nuancée de ce que nous avons observé en termes de travail forcé et d’esclavage moderne. Le travail des enfants est une chose qui a vraiment attiré l’attention du monde entier, lorsque nous avons commencé à travailler à Kolwezi. Amnesty a publié un rapport à ce sujet. Et c’était donc une accroche très puissante, comment dire, pour parler de ce qui se passait dans ces communautés minières artisanales. Cependant, ce que nous avons réalisé, c’est que le travail des enfants n’est que la partie émergée de l’iceberg, en particulier lorsque nous parlons de systèmes économiques extrêmement fragiles comme celui qui tourne autour de l’exploitation minière dans ces communautés d’un État fragile comme la RDC. Et il est extrêmement difficile de, comment dire, déconnecter le travail des enfants de la condition générale du travail des communautés qui vivent et travaillent dans ces régions. Je voulais donc juste rappeler pourquoi nous parlons du travail forcé et de l’esclavage moderne en tant que GSIF, Good Shepherd International Foundation, et pourquoi les Sœurs se sont impliquées dans ce sujet qui, à l’origine, semblait un peu déconnecté de l’objet de notre travail, qui tourne plus traditionnellement autour des filles et des droits des femmes. Bien sûr, comme toutes les agences de développement et aussi les organisations confessionnelles, nous examinons les priorités de l’Agenda 2030 et nous savons que le travail décent, la création d’emplois, la protection sociale et les droits au travail sont un élément clé pour atteindre les ODD et l’agenda global. Et nous sommes extrêmement conscients que pour fournir des solutions durables à nos principaux bénéficiaires, les femmes et les filles, nous devons examiner des moyens durables de générer une croissance économique et de promouvoir la croissance économique. Il n’y a aucun doute là-dessus, je pense que pour tout le monde, donc le travail décent et la croissance économique doivent aller de pair. Bien que générer des emplois décents, des emplois conformes aux droits de l’homme pour les groupes vulnérables, en particulier les femmes et les plus pauvres, ceux qui sont les plus… qui ont le plus de difficultés à s’impliquer dans le travail formel, est extrêmement délicat. Et c’est vraiment, je pense, l’un des principaux défis pour ceux qui sont impliqués dans le développement. Et, vous savez, nous savons que les objectifs de l’Agenda 2030, auxquels nous espérons contribuer, consistent d’une part à soutenir la modernisation et la croissance du secteur des micro, petites et moyennes entreprises. Car nous savons que ce sont probablement les modèles, les modèles économiques qui peuvent favoriser l’inclusion économique et la génération de revenus pour les sections les plus vulnérables de la population que nous examinons. D’autre part, en parlant spécifiquement de la cible 8.7, nous nous sommes tous engagés à éliminer les pires formes de travail des enfants et toutes les formes de travail des enfants d’ici 2025. Je pense que nous sommes tous conscients que nous sommes loin du compte pour le moment. La semaine dernière, nous avons célébré la Journée mondiale contre le travail des enfants et nous avons tous lu le rapport de l’OIT et de l’UNICEF sur l’état d’avancement de l’élimination du travail des enfants, et nous avons appris que le travail des enfants est en augmentation, avec 160 millions d’enfants impliqués dans le travail des enfants selon les estimations. Et cela s’ajoute au fait que nous sommes au milieu d’une terrible récession économique. Et pour en venir à ce que je disais, l’économie informelle est probablement le secteur qui perd le plus de capacité à générer des moyens de subsistance. Et c’est ce que nous observons dans des communautés comme celles de Kolwezi, où c’est l’économie informelle qui soutient leurs moyens de subsistance. Nous entrons donc ici dans le vif du sujet avec ce qui se passe à Kolwezi. Comme je vous le disais, il y a eu beaucoup de… Beaucoup, disons, pas mal de recherches et de plaidoyer, d’intéressantes initiatives internationales de plaidoyer autour de la présence d’enfants dans la chaîne d’approvisionnement des batteries, en commençant par Kolwezi, en RDC, avec l’extraction du cobalt. Et cela a soulevé… L’alarme a été tirée par de nombreuses grandes entreprises, en particulier par ces deux ou trois personnes, comme le disait Brian, qui sont des experts des droits de l’homme et des affaires au sein de ces entreprises. Cela a attiré leur attention sur le problème du travail des enfants. Cependant, comme je le disais, nous devons regarder un peu plus en profondeur car le contexte dans lequel nous nous trouvons n’est pas, comment dire, un contexte noir ou blanc. Nous parlons d’économies largement informelles qui impliquent la majorité de la population. L’extraction de ces minéraux est effectuée, selon les estimations, entre 20 et 40 % par des mineurs dits artisanaux. Et l’exploitation minière artisanale dans cette région particulière, mais aussi dans la majeure partie de la RDC, est un secteur hautement non réglementé. Pourtant, il fournit des moyens de subsistance à une très grande partie de la population. Cela signifie que nous ne pouvons pas vraiment chercher un employeur, une entreprise à qui parler lorsque nous voulons aborder la question du travail décent, ou des conditions d’esclavage, ou du salaire décent, ou de la sûreté et de la sécurité. Nous parlons principalement d’individus, qui se regroupent, maintenant dans le cadre du nouveau code minier, ils doivent se regrouper dans le cadre de coopératives. Mais leurs conditions de travail restent extrêmement volatiles, extrêmement sujettes à la volatilité du marché et des acheteurs, et de ceux qui fixent les prix. Lorsque nous avons cherché à savoir de plus près quelles étaient les conditions de travail de ces mineurs artisanaux dans les communautés qui fournissent la plus grande quantité de minerais dans la chaîne d’approvisionnement du cobalt, ce que nous avons trouvé, vous savez, ressemblait à une sorte de tableau à la Dickens, comme un paysage préindustriel où une sorte d’action collective, quelques idées de systèmes de négociation collective, sont encore absolument éloignées et considérées comme très, très lointaines. Ainsi, ce qui pourrait être considéré comme les embryons, les points de départ d’un processus de défense et de lobbying pour les droits des travailleurs étaient absolument absents. Et donc ce que nous avons trouvé, ce sont des conditions où les mineurs sont payés, comme vous pouvez le lire ici, entre 0,8 et 50 cents par jour pour ce qu’ils produisent. Ils n’ont aucune idée du prix du marché de ce qu’ils produisent. Et leur pouvoir de négociation est extrêmement limité. Les conditions que nos chercheurs ont trouvées sur le terrain étaient comparables à ce qu’ils ont vu dans les camps de réfugiés au Sud-Soudan. Si l’on prend cela comme une barre, un point de référence, disons, pour le côté le plus bas possible de l’échelle en termes de droits du travail, on peut dire qu’il s’agit d’une situation qui se situe au bas de l’échelle, à l’extrémité de l’échelle. Quels sont les obstacles au travail décent dans le secteur de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle que nous avons pu identifier et que nous observons toujours comme étant les éléments clés qui doivent être abordés ? Il est certain qu’il y a un manque d’éducation sur les droits des travailleurs et des mineurs en particulier. Même si, en RDC, il existe des lois assez sophistiquées qui, en théorie, défendent les droits de ce secteur particulier de la main-d’œuvre, elles ne sont pas bien connues et ne sont certainement pas appliquées. Et cela se traduit par un manque total de pouvoir de négociation des mineurs. Donc aucune capacité collective à mener des initiatives d’action collective. Il y a un risque permanent de perdre ce pouvoir de négociation, même minime, en raison d’un certain nombre de problèmes liés à la propriété des terres où ces personnes exploitent les mines, qui sont généralement illégales dans leur exploitation. Il existe une tolérance à l’égard de ces mineurs, mais aucun droit réel d’exploitation minière n’est accordé dans ces zones, bien que ces zones ne soient pas utilisées par les propriétaires des concessions. Il faut savoir que les concessions minières ont la taille d’une région italienne moyenne. Elles sont donc immenses, énormes et largement inutilisées. La taille des coopératives qui ont été formées et leur nature en termes de droits légaux et de droits contractuels sont extrêmement obscures et entachées de corruption et de collusion avec les forces politiques de l’État, qui empêchent toute forme de transparence. Il y a un fort risque de relations d’endettement entre les membres des coopératives et les propriétaires des coopératives. Nous ne pouvons donc même pas les qualifier de véritables coopératives selon nos normes européennes, disons, et nous avons observé que dans de nombreux cas, les personnes qui travaillent sur ces sites miniers, pas seulement les mineurs, mais aussi leurs familles qui vivent très souvent dans ces concessions minières, n’ont même pas la liberté de se déplacer. Et si nous ne pouvons pas définir cela comme de l’esclavage moderne, je ne sais pas ce qui pourrait être qualifié d’esclavage moderne. Comme je l’ai dit, il y a des problèmes extrêmement forts, mais je n’entrerai pas dans les détails ici, peut-être pourrons-nous en parler pendant l’heure des questions. Il y a certainement des problèmes liés à l’application de la loi et à la difficulté pour les agences gouvernementales et la police de soutenir efficacement les droits de ces travailleurs. C’est plutôt le contraire. La corruption et la collusion s’accumulent essentiellement contre les droits de ces travailleurs. Ce que je voulais dire en conclusion, c’est qu’il y a une petite lueur d’espoir. De nouveaux systèmes de réglementation sont en cours d’élaboration. Le gouvernement de la RDC tente de mettre en place une entreprise publique-privée qui devrait contribuer, disons, à offrir de meilleures conditions de marché, comme nous parlions d’incitations, pour que les mineurs artisanaux formalisent leurs opérations. Il existe de nombreux processus d’agences multilatérales et d’initiatives multipartites visant à développer des normes pour ce secteur. Et nous faisons partie de certains d’entre eux. Et c’est certainement un processus très, très difficile de définir des ensembles de normes spécifiques du point de vue de la protection des droits de l’homme. Et il y a des initiatives comme celles que nous menons, pour promouvoir des moyens de subsistance alternatifs basés sur de bons modèles de coopératives d’entreprises sociales qui peuvent également établir une norme pour le mouvement coopératif local qui se concentre sur le travail décent et les droits des travailleurs. Je vais donc m’arrêter ici et je serai heureux de répondre à vos questions.
- MIRJAM BEIKE : Merci, Cristina. Quand je vous écoute, ce que j’ai trouvé très intéressant ou ce qui m’a frappé, c’est que d’une certaine manière, on peut dire que le manque d’éducation entraîne beaucoup d’autres raisons, comme le manque de négociation. Personne ne s’est donné la peine d’apprendre à négocier et ils sont incapables de signaler les cas. Je pense que beaucoup d’éducation sera nécessaire pour améliorer la situation, en plus de toutes les mesures légales nécessaires dans lesquelles vous êtes impliqués. Maintenant, nous avons eu un premier aperçu du travail pratique en République démocratique du Congo. Nous allons maintenant passer à M. Andrea Marchesani. Il est le conseiller spécial de l’Ordre de Malte, membre de la Section Migrants et Réfugiés, un Dicastère du Développement Humain Intégral du Saint-Siège. Vous avez la parole.
ANDREA MARCHESANI : Merci beaucoup, Sœur Mirjam. Bonsoir à tous. C’est un plaisir pour moi d’intervenir ce soir, cet après-midi, en ma qualité de responsable de la recherche de la section Migrants et Réfugiés du Saint-Siège. Et mon devoir aujourd’hui est de mener… Je voudrais remercier Michel pour l’invitation, à tous les autres intervenants et à l’Ordre de Malte. Et mon devoir ce soir, aujourd’hui, est d’intervenir et de parler du travail décent, et permettez-moi d’utiliser le mot qu’en anglais tous les papes ont utilisé dans tous les documents, dans tous les documents sociaux de l’Église, ils utilisent le mot travail, pour parler du travail décent et permettez-moi de le relier aux Orientations pastorales sur la traite des êtres humains que la Section a conçu et écrit il y a quelques années avec la collaboration de beaucoup d’entre vous qui étaient présents à Sacrofano à la consultation et à la conférence. Et donc, pour commencer, je voudrais commencer par le tout début. Et donc de la Genèse où nous trouvons la création et nous trouvons le travail, nous trouvons le travail dans la création, et la création elle-même est le travail, est l’œuvre de Dieu. Et dans la création, pendant la création, Dieu a confié le soin et la culture de la terre aux créatures. Nous avons donc ici le premier fait ou la première donnée que la création, le travail, n’est pas une domination absolue de l’homme sur la création, mais qu’il respecte la volonté de Dieu et des autres créatures. Donc le travail, le labeur, ne peut pas être une idole, ne peut pas être une domination. Et c’est le point du péché originel et de la domination, c’est-à-dire l’exploitation des autres, des autres créatures et de la création, juste pour rester connecté à Laudato Si’. Une autre chose intéressante est que le repos du sabbat, le repos que Dieu a à la fin de la création n’est pas seulement le culte de la création, mais pour les créatures, c’est le culte de Dieu lui-même, et c’est ce que l’enseignement social catholique définit comme le repos de la défense des pauvres. Et si nous allons plus loin dans les livres des juges et du Deutéronome, nous trouvons que l’un des péchés, comme l’a défini le Pape Saint Pie X, l’un des péchés qu’ils crient au ciel, est l’injustice envers le salarié, et la Constitution Apostolique de Paul VI dit qu’un salaire doit permettre aux travailleurs et à leurs familles de vivre au-dessus du seuil de pauvreté, d’avoir du temps pour se reposer, et de jouir de la vie, de jouir d’une vie normale, et de fournir une éducation et des ressources suffisantes et suffisantes pour la famille. Donc après cela, nous pouvons dire que le travail indécent est de l’esclavage. Et comme Brian le disait avant, nous pouvons parler de nombreuses structures, nous pouvons parler du système. Mais le point est un, le point principal est un, c’est le péché originel. Donc l’exploitation, la domination sur les autres créatures. Et à partir de là, les structures que l’enseignement social catholique définit comme la structure du péché créent l’exclusion sociale et économique, nous avons donc un système économique qui permet la primauté des choses sur l’homme, la priorité du capital sur le travail et l’argent, la technologie comme une fin et non comme un moyen. Et nous avons donc toutes ces conséquences. C’est donc une structure de péché et c’est le problème, et c’est un problème qui se perpétue sans aucun obstacle, parce que c’est un système qui traite les hommes, les personnes comme de simples marchandises pour l’intérêt personnel des autres. Et… Brian a dit qu’avant de se concentrer, nous devons identifier une culture qui est responsable de, et cela pourrait être la culture du jetable que le Pape a appelé plusieurs fois, une culture du gaspillage qui est contre la centralité de la personne humaine, la centralité de la personne humaine, le système. Donc le système économique, le système politique, est au service de l’homme et non l’inverse. Et aujourd’hui nous assistons aussi, dans l’ère moderne, nous assistons au détournement des capitaux de l’économie réelle. Et quand cela est excessif, et quand il y a une accumulation excessive, les gens sont exclus et le travail est un instrument, et l’argent est une fin pour peu de gens. Donc, pour en revenir aux aspects de la demande, chacun d’entre nous est un consommateur et nous sommes tous impliqués. Le Pape… J’étais à Genève à l’époque avec Michel et le Pape a dit que nous sommes tous responsables de la mort des gens, de l’exclusion des gens, parce que nous en faisons partie et que le bien commun ne peut être atteint si tout le monde n’est pas inclus, si le développement humain intégral de chacun n’est pas envisagé. Nous faisons donc tous partie de ce système, et nous bénéficions de ce système, un système qui évolue comme une conspiration du silence pour le profit et cela n’est pas loin de nous, ce n’est pas dans les grandes entreprises juste en République démocratique du Congo, très loin de nous, mais c’est dans nos maisons et dans des entreprises bien considérées. Ce que je veux dire, c’est que les affaires ne sont pas liées à la traite des êtres humains ou à l’esclavage dans ce cas. Mais c’est le lieu, c’est l’endroit où cela se passe. Et chaque fois qu’il y a des gens qui sont plus contraints, ou dans des conditions désastreuses ou déshumanisantes, on a de l’esclavage et du travail indécent. Ainsi, la concurrence sur les marchés et la réduction des coûts de la main-d’œuvre ne laissent pas le choix aux gens d’accepter un travail dans des conditions désastreuses. Et en ce qui concerne les consommateurs, Benoît XVI nous rappelle, dans l’encyclique Caritas in veritate, que l’achat, l’acquisition de quelque chose n’est pas seulement un acte économique, mais aussi un acte moral avec une responsabilité sociale spécifique. Et donc, que pouvons-nous faire, quel peut être le remède à cela ? Tout d’abord, l’éducation, la culture. Et cela doit commencer dès le début. Ce n’est pas facile. La seconde est l’évaluation éthique des entreprises, car nous entendons souvent parler de responsabilité sociale des entreprises. Mais bien souvent, il s’agit de marketing, d’une partie du marketing ou des relations publiques d’une entreprise. Et ce n’est pas efficace, et ils continuent à chercher uniquement l’efficacité, ce qui est une chose différente. Et pour changer de paradigme, nous devons changer de paradigme. Et c’est là que l’enseignement social de l’Eglise est arrivé après la révolution industrielle, en assistant à la condition des travailleurs du monde entier et en essayant de dire quelque chose, par exemple sur la co-participation, un contrôle sur le marché, sur le système, mais bien sûr des initiatives libres, mais ensemble, pas l’un ou l’autre seul. Une autre chose qui est un devoir, je peux parler pour l’Eglise, c’est l’évangélisation et l’accompagnement pastoral des travailleurs dans les syndicats, le travail de l’Eglise dans les syndicats et aussi dans les fédérations d’employeurs. Et un cinquième élément pourrait être la défense de la famille, parce que les familles sont des filtres à travers le système, c’est la première cellule de la communauté et elle permet aux gens de filtrer le système, le système économique, le système culturel, qui est très bien répandu en ce moment de globalisation comme une globalisation de l’indifférence. Et c’est la première arme que nous devons renforcer et soutenir. Plus une communauté est fragmentée, plus la traite des êtres humains et l’esclavage sont possibles. L’individualisme peut se développer sans aucun obstacle, et les gens ne sont pas défendus par la communauté ou par la famille. Par exemple, vous savez, le travail indécent, le travail indécent et l’esclavage ne sont pas très loin de nous, comme je l’ai dit, mais aussi dans des entreprises très bien considérées où les jeunes professionnels arrivent, parfois ils finissent leur travail très tard, ils n’ont pas de vie, mais s’ils ne font pas cela, ils ne peuvent pas grandir, ils ne peuvent pas grandir professionnellement, ils peuvent se faire harceler et contraindre par les employeurs. Je voudrais donc ajouter que l’esclavage et le travail indécent se font parfois aussi sur une base volontaire et pas seulement sur la base de la coercition. Et une autre chose que je voudrais souligner, c’est qu’à l’heure de la pandémie, où la technologie est si envahissante dans notre vie, dans notre vie professionnelle, la technologie défigure et peut défigurer le travail et le travail intelligent crée des dynamiques étranges même dans les lieux de travail décents. Et donc je voudrais juste conclure avec Saint Thomas, que “le travail n’est pas une chose à…”. J’avais la citation ici, je l’ai perdue. “Ce n’est pas seulement pour gagner de l’argent, mais cela fait partie de la nature même de l’homme. Le travail est une bonne chose pour l’homme, une bonne chose pour l’humanité, parce que l’homme avec le travail, l’homme non seulement transforme la nature, en l’adaptant à ses propres besoins, mais il s’accomplit aussi en tant qu’être humain et même, en un sens, devient un être plus humain. Le travail décent est une exigence pour la réalisation du bien commun.” Merci beaucoup.
- MIRJAM BEIKE : Merci, Andrea. C’était aussi un autre aspect du travail décent. Vous avez parlé comme Brian de la culture du travail, et du système, mais aussi du fait que l’achat est un acte moral. Vous citez donc une autre approche spirituelle et confessionnelle du phénomène du travail décent dans la discussion. Gabriele Spina, psychologue et chef de projet pour le Consortium “Il Nodo” à Catane, en Italie, en charge de la protection des jeunes et des migrants. Il va nous présenter son travail. Comment ils éduquent les jeunes migrants pour qu’ils s’intègrent dans la société, qu’ils soient capables d’occuper des postes avec des conditions de travail décentes, car ce n’est pas si facile. Vous avez la parole, Gabriele.
GABRIELE SPINA : Merci, Michel et Sœur Mirjam de m’avoir invitée à expliquer le travail que mon organisation fait pour aider les migrants. Je pense que ma discussion est très liée à certains des sujets dont nous parlons, l’éducation, l’amélioration des compétences et les problèmes culturels liés au travail. Et je veux prendre quelques minutes pour présenter mon organisation, “Consorzio Il Nodo”, qui est née en 2000. Elle est composée de plus de 10 coopératives sociales qui ont commencé leur travail en 1970, avec le soutien de la congrégation des Sœurs du Bon Pasteur. Et nous travaillons dans de nombreux domaines, principalement, bien sûr, avec les migrants, les mineurs étrangers non accompagnés, les adultes, les mineurs italiens, également, sans éducation formelle à l’école ou dans la rue, et aussi avec la politique de l’emploi et avec des difficultés économiques, sociales ou psychologiques, etc. En relation avec le travail que nous faisons avec les migrants, nous les aidons avec leurs problèmes de santé, les documents administratifs, et nous leur donnons un soutien : le soutien social, économique et psychologique. Ces trois parties, en un mot, constituent l’intégration, et 80 % de l’intégration est liée à l’emploi, car il est très important pour leur intégration de travailler dans ce domaine. Nous accueillons normalement 380 bénéficiaires, et parmi eux, 330 sont des migrants, des mineurs non accompagnés, des adultes, des femmes avec enfants, et ils sont accueillis dans 44 structures, dont 99 % sont situées dans une copropriété et ne sont pas seuls. Mais c’est la première étape, très importante pour intégrer cela. Pour nous, la copropriété, et les personnes qui vivent dans nos appartements, sont nos collègues de travail. Et c’est très important pour aider les gars à s’intégrer, à comprendre la culture. Il y a environ six ans, nous avons créé un groupe de travail composé de collègues italiens et étrangers qui sont d’anciens bénéficiaires de notre projet, ou des personnes qui ne travaillent pas avec nous mais qui étaient d’anciens bénéficiaires et qui travaillent maintenant dans d’autres domaines ou dans des ONG. Et nous avons créé ce groupe parce que nous voulons changer et créer un nouveau modèle d’intégration, parce que le premier problème, le premier besoin des immigrants, des bénéficiaires, est d’avoir des documents et de travailler. Ils ne se soucient pas de savoir si leur travail est régulier ou non, avec un salaire correct ou non. Il est donc très difficile, il était très difficile de les impliquer dans des activités qui organisaient étape par étape leur autonomisation. La première question que nous nous posons est de savoir pourquoi les bénéficiaires doivent se lever le matin, et nous commençons donc à organiser une chaîne d’activités, des laboratoires, en les organisant comme une batterie, pour les leçons, puis les examens, par étapes, en commençant par une activité, par exemple, sur la santé, puis sur l’économie domestique, sur leur santé, leur hygiène, l’hygiène personnelle et l’hygiène des espaces communs. Ensuite, l’économie domestique. J’espère que vous allez me comprendre. Par exemple, comment gérer la relation avec le colocataire, avec la personne qui vit dans l’autre appartement, comment recycler, comment payer les factures, et cetera. Une autre étape est l’éducation civique, une autre est le système juridique en Italie et en commençant par cette étape, en commençant à assister à cette étape, quand ils passent cette étape avec des examens, nous les faisons passer de la grande structure à la petite structure. Quand cette partie est terminée, nous commençons avec des activités d’autonomisation dans le travail, et nous organisons avant le stage qui est normal pour nos activités, avant cette étape nous commençons avec le laboratoire de travail à l’intérieur du consortium lié à l’agriculture, la maintenance, l’électricien, le restaurant. Et ces personnes sont suivies par un tuteur. C’est comme un atelier, ce n’est pas un travail, mais nous les payons aussi, et en même temps, le tuteur leur donne une note. Par exemple, si l’un des sujets est l’heure à laquelle ils doivent arriver à l’atelier, le deuxième est le code vestimentaire, le troisième est l’effort qu’ils font dans leur travail, et le dernier est la compétence. Et nous leur donnons la note trois, deux, un. Et en fonction de ce score, nous changeons le salaire que nous leur donnons. Lorsque je parle de cela d’un point de vue social, la personne pense que ce type d’organisation est un peu cruel, qu’il n’est pas correct d’utiliser ce type de différences, car nous sommes très stricts à ce sujet. Par exemple, si un bénéficiaire doit arriver à 8h, et qu’il arrive à 8h, il a 3, s’il arrive à 8h01, il aura 2, s’il arrive à 8h16, il aura 1. Avec le score 3, ils ont 5€ par heure, avec le score 2, 3.50€ avec un score de 1, 2.50€. Ce n’est pas très important parce qu’il y a un algorithme qui rencontre tous les scores, donc la différence est normalement de 50€, 100€, mais c’est très important, parce que nous savons qu’au début, ils arriveront normalement non pas à 8h, mais à 8h20, 8h30, 8h40. Quand nous avons commencé avec ce genre de score, ils arrivent maintenant à chaque fois, 10 minutes avant 8h00. Ce n’est pas important d’arriver dans notre projet à 8h00 moins 10, mais c’est très important parce que cette personne doit rester sur le marché et elle doit être très, très autonome aussi, parce qu’elle a la concurrence de l’autre personne. Donc pour nous, c’est très important. Et c’est un moment où ils apprennent beaucoup des aspects culturels liés au travail. C’est comme… En Italie, c’est l’alphabétisation, ils n’apprennent pas seulement la langue, mais ils apprennent comment gérer le travail. Ce type d’activité est né parce que notre dernière expérience a été d’entrer directement dans un stage en dehors du consortium. Et bien souvent, ces personnes échouaient, non pas parce qu’elles n’étaient pas bonnes, mais parce qu’elles n’étaient pas prêtes à rester sur le marché. Il était donc très, très important d’avoir ce genre d’activités. Je ne sais pas si… Je peux rester à ce stade. Et si vous voulez, je peux mieux expliquer, s’il y a des questions, comment fonctionne notre laboratoire, nos activités.
- MIRJAM BEIKE : Merci, Gabriele. C’était très intéressant, et j’ai entendu aussi, d’après ce que vous avez dit au sujet de la culture, c’était aussi très présent, et je me souviens que Brian a parlé de la culture, mais c’est une culture dont nous avons besoin en tant que consommateurs. Mais les producteurs, et les personnes qui ont une position pour travailler, ont aussi besoin d’une culture qui peut être plus régionale, vous savez, plus proche de leur lieu de vie, et la culture des consommateurs devrait être globale. C’est donc quelque chose qui m’a frappé. Mais nous allons poursuivre avec notre prochain intervenant, le professeur Marc Chesney. Il est le chef du département de banque et de finance et du centre de compétence en finance durable de l’université de Zurich en Suisse, après avoir été doyen associé d’HEC Paris, auteur de “The Permanent Crisis : L’oligarchie financière et l’échec de la démocratie”. Depuis de nombreuses années, il développe une analyse critique du secteur financier et de ses conséquences sur l’économie réelle, ainsi que sur la prise en otage des démocraties. Monsieur Chesney, vous avez la parole.
- MARC CHESNEY : Merci. Merci pour l’invitation, Michel. Ce soir, je vais me concentrer sur le travail indécent. Indécent… Qu’est-ce que ça veut dire ici ? Indécent, bien qu’il garantisse un revenu très élevé et bien qu’il comporte de très bonnes protections sociales. Indécent, car il est lié au cynisme et aux paris. Nous allons donc nous concentrer sur l’autre côté de la médaille. Car il n’y a pas de travail des enfants et d’esclavage sans cynisme. Et donc je vais essayer de comprendre le contexte, le contexte financier et ce qui s’est passé pendant les 13 ans de vie, entre, disons, la faillite de la banque Lehman Brothers et les scandales associés au Crédit Suisse, les scandales récents. Je vais donc me concentrer sur le secteur financier et, plus précisément, sur une trentaine de grandes banques, des institutions trop grandes pour faire faillite, sur 30 000 banques. Je vais donc me concentrer sur ces institutions too big to fail. Voilà le programme de cette soirée, donc encore une fois, je vais commencer par Lehman Brothers et je vais expliquer le contexte actuel, donner des exemples de produits financiers toxiques, de paris et de cynisme et conclure sur une note positive. Je vais donc m’appuyer sur mes livres, les chapitres deux et quatre, précisément. Que s’est-il donc passé il y a 13 ans avec la faillite de Lehman Brothers ? C’est intéressant, j’ai lu le dernier rapport annuel, qui est toujours en ligne, très intéressant. Si vous avez le temps d’y jeter un coup d’œil, vous trouverez des mots tels que “performance record”, “résultats formidables”, “efforts de gestion des talents”, “excellence”, “concentration sur la gestion des risques”. Incroyable. Quelques mois plus tard, ils ont disparu, ils ont fait faillite, mais ils se concentraient sur l’excellence et la gestion des risques. Et cette banque était censée, selon son rapport annuel, répondre aux questions sur le changement climatique et se concentrer également sur la durabilité, la responsabilité, la philanthropie. Donc en gros, du greenwashing. En ce qui concerne les agences de notation, cette banque a reçu de bonnes notes encore quelques jours avant sa faillite, au moins A. Et le dernier PDG de cette banque a reçu entre 2000 et 2007, environ un demi-milliard de dollars, malgré sa responsabilité dans la faillite. Il s’agit donc d’un échec d’un analyste financier, en gros, alors j’ai pris le temps de lire ce rapport annuel. C’est comme un puzzle, il faut essayer de comprendre comment ça marche. Et un seul ratio aurait été suffisant pour comprendre que la situation était très dangereuse. Et ce ratio est de 50, qui apparaît ici, 50. C’est le rapport entre les activités hors bilan et les activités du bilan. Donc en gros les activités de bilan, c’est comme un iceberg, donc ce que vous voyez, et les activités hors bilan, ce que vous cachez en dessous de la table avec beaucoup de transactions complexes et douteuses. Alors, qu’en est-il aujourd’hui ? En bref, parce que nous n’avons pas beaucoup de temps, en vert, vous avez le PIB mondial jusqu’en 2019, environ 18 000 milliards de dollars. En orange, vous avez la dette, la dette mondiale, la dette privée et la dette publique ensemble. Avant COVID-19, elle correspondait à environ 300 % du PIB mondial. Aujourd’hui, elle est d’environ 360 % du PIB mondial. C’est trop élevé, pour être clair, c’est trop élevé pour être réaliste. Il ne sera pas possible pour les entreprises, pour toutes les entreprises et tous les pays de rembourser ce niveau de dette énorme. Donc nous serons confrontés et nous sommes déjà confrontés à des défauts de paiement ou des faillites. Et dans ce genre de casino financier, il y a des paris, donc dans mon introduction, j’ai parlé de cynisme, donc au même moment où dans les hôpitaux, les médecins avaient l’habitude de se battre contre le COVID-19, de se sacrifier, même physiquement, au même moment, vous avez les hedge funds, qui parient sur la faillite des entreprises et des pays. C’est du cynisme, pour être clair. Et quels sont ces produits ? En rouge ici, vous avez ce qu’on appelle des produits dérivés. Dès que vous commencez à étudier la finance, vous apprenez dans les manuels que ces produits sont utiles aux entreprises pour se couvrir contre les risques financiers. Et c’est vrai, mais seul un petit pourcentage est utilisé comme produits de couverture, car vous n’avez pas besoin de produits de couverture correspondant à environ neuf fois le PIB mondial. Vous aurez besoin de produits de couverture correspondant peut-être à 20, 30, 40 % du PIB mondial, mais pas à neuf fois. Le pourcentage restant, peut-être 99 %, correspond à des paris sur les défauts de paiement et les faillites. Donc ici, une autre diapositive, j’ai gardé le même PIB mondial, les mêmes valeurs ici, le PIB mondial, la dette, et les produits dérivés et j’ai changé l’échelle, et ici, nous avons l’échelle des transactions financières. Tout simplement énorme, environ 150 fois le PIB. Donc c’est tellement énorme. Je veux dire, tout ce qui est toutes les transactions, toutes les transactions électroniques. C’est tellement énorme que si ce niveau, ce volume de transactions électroniques était considéré comme une base d’imposition, la micro-taxe d’environ 0,1 % serait suffisante pour se débarrasser de la TVA, par exemple, et pour aider de nombreuses familles en Suisse et dans de nombreux pays. Bon, j’en viens aux produits financiers, pour vous donner une idée en quelques mots. Selon la SIX, donc la bourse en Suisse. Nous avons ici des données hebdomadaires liées aux produits dérivés. Deuxième semaine d’octobre 2020, je sais qu’il est tard et je ne vais pas rentrer dans les détails, mais ce que vous voyez ici en dessous, autour des actions, dont j’espère que vous voyez ma souris, les actions ici. Donc les dérivés sur les actions, sur les cours boursiers, en gros, le volume correspond à ce que vous voyez ici, entre 18 et 19 millions de milliards de francs suisses, uniquement pour la Suisse. Donc en d’autres termes, si vous comparez cela au PIB, au PIB suisse, cela correspond à 26’000 fois le PIB suisse. Je répète, 26 000 fois le PIB suisse. Pourquoi est-ce si énorme ? Et encore une fois, la réponse est simple, parce qu’une énorme partie, une énorme quantité ici correspond aux paris et au cynisme. Avançons. Qu’en est-il aujourd’hui, alors nous connaissons la situation ici de quelques données sur deux banques, les deux grandes banques en Suisse, mais la situation est similaire à l’étranger aux États-Unis, en Allemagne, en Angleterre, en France. Les activités hors bilan, les produits dérivés, sont énormes. Elles correspondaient donc en 2019 pour Credit Suisse à 26 fois la taille du bilan, environ 30 fois le PIB suisse pour une banque, ces paris correspondent à 30 fois la taille du pays, et environ 25 % du PIB mondial. Même chose pour UBS, le même genre de situations. Ces paris représentent donc 25 % du PIB mondial, et 30 fois la taille du PIB suisse. C’est intéressant parce que si vous êtes un contribuable en Suisse, vous pouvez être intéressé par le risque des institutions dites “too big to fail”. Ce qui est nouveau aujourd’hui, c’est le secteur bancaire parallèle, qui existait il y a 13 ans, mais qui est maintenant beaucoup plus fort. Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? Il s’agit d’institutions financières sans licence bancaire. Donc par exemple, Black Hawk n’est pas une banque, mais elle est très forte, beaucoup plus forte qu’il y a 13 ans. Maintenant, en parlant de Credit Suisse, vous savez ce qui s’est passé il y a quelques semaines. Un pari énorme du Crédit Suisse, avec deux fonds spéculatifs, essentiellement Archegos et Greensill, les paris correspondaient à environ 50 pour cent du capital de la banque, 50 pour cent. Et donc 20 milliards de francs suisses et 5 milliards ont été perdus. Et ce n’est pas fini. Alors maintenant, pour être concret, dans les dernières minutes de ma présentation, je voudrais donner un exemple de ces paris, qui sont hors bilan. Un CDS, credit default swap. Je suppose que la plupart d’entre vous ne savent pas ce que c’est. Permettez-moi de commencer à zéro et d’expliquer ce que c’est. Si vous cherchez sur Google, vous trouverez cette définition : Un CDS est un produit dérivé qui permet à son propriétaire de se protéger contre un risque de défaillance d’une entité de référence. Donc, pour vous donner un exemple, sur ce graphique, vous voyez qu’une banque accorde un prêt à une entreprise, un montant X, par exemple, 10 millions de francs suisses. Entre la société et une compagnie d’assurance, vous avez toujours des contrats d’assurance, et si cette société ici à droite est, disons, une société de restauration liée aux restaurants ou aux hôtels, au tourisme, supposons, il se peut que la banque ait accordé le prêt, par exemple, ici avant COVID-19, et pendant COVID-19, la banque craint que la société ne fasse faillite. La banque va donc acheter un CDS, un credit default swap à la compagnie d’assurance. Donc par exemple, si l’entreprise ne rend que, disons, 3 millions au lieu de 10 millions, la banque va activer son CDS. Le CDS correspond, dans mon exemple, à 10 millions de francs suisses. Et la banque recevra la différence. La différence, 7 millions de francs suisses. Jusqu’ici, tout va bien. Le CDS est utile. C’est un contrat d’assurance. Maintenant, si vous lisez… Si vous creusez plus profondément dans Google, vous trouverez ce commentaire. “Il n’est pas nécessaire d’être réellement exposé au risque des entités de référence pour conclure un contrat de CDS.” Je vais donc essayer d’expliquer et de traduire. Cela signifie qu’il n’est pas nécessaire pour une entreprise d’être exposée au risque pour pouvoir se couvrir. Qu’est-ce que cela signifie ? Si je ne possède pas de voiture, pourquoi devrais-je être autorisé à souscrire une assurance automobile ? Dans cet exemple, bien que je n’aie pas de voiture, j’aurais le droit de souscrire une assurance automobile, non pas pour ma voiture, car je n’en ai pas, mais peut-être pour celle du voisin, car je sais qu’il conduit mal. Il pourrait avoir un accident. Donc, étant donné que rien n’est réglementé pour les CDS, pour les voitures, évidemment c’est interdit sinon nous aurions beaucoup d’accidents, mais ici dans ce cas, CDS, c’est autorisé. Donc si c’était autorisé pour les voitures, alors j’aurais des incitations peut-être à identifier le voisin qui conduit très mal, et à l’inviter avant qu’il conduise à lui donner un verre d’alcool pour être sûr qu’il aura un accident. Et je ne vais pas acheter une seule assurance dite automobile, mais 10, 20, 100, ce n’est pas réglementé. Donc là encore, pour les voitures, c’est interdit. C’est interdit et c’est bon. Pour les CDS dans le secteur financier, c’est encore autorisé aujourd’hui, 2021, donc vous avez des paris énormes à nouveau sur la faillite des entreprises, et cela crée un risque systémique. Donc à la fin de la journée, dans mon exemple, la banque va acheter, au lieu d’acheter un CDS sur la société pour 10 millions de francs suisses, elle va acheter peut-être 10 CDS, donc 10 fois 10, 100 millions de francs suisses. Pourquoi ? La banque n’est exposée qu’à un seul risque, un risque maximum de 10 milliards de francs suisses, pas 1 million. En fin de compte, la banque fera un énorme bénéfice si l’entreprise fait faillite. Enfin, l’une de ces entreprises peut faire faillite. Et comme elles sont trop grosses pour faire faillite, c’est le contribuable qui paiera la facture. Au fait, ce n’est pas du libéralisme. C’est quelque chose de différent, car le premier principe du libéralisme est très simple. Si vous vous engagez dans des activités risquées, vous assumez les risques. Et ici, ce n’est pas le cas, étant donné que le contribuable assume les risques. Les impacts sociaux sont énormes. Donc ici vous avez la distribution des revenus. Que voit-on ? Rien, en gros, parce que nous avons ici une ligne horizontale pour 99,99 % de la population. Et sur l’axe vertical ici, vous avez le 0,01% restant. Et ici, j’ai écrit, concernant les revenus, pas en milliards, pas en millions, mais en milliards de dollars ou de francs suisses. Donc Jeff Bezos, par exemple, Amazon, Jeff Bezos le 20 juillet a reçu 13 milliards, pas millions, 13 milliards de francs suisses en un jour, la première fois dans l’histoire qu’une personne a pu s’enrichir de 13 milliards de dollars. Cela correspond en un jour à deux fois ce que 1,3 milliard d’Africains ont reçu le même jour. Cela correspond aussi à 10 fois la valeur du château de Versailles. 10 fois, pas en 50 ans, comme c’était le cas pour le château de Versailles, en un jour. Il faut donc être conscient de cela, de l’autre côté de la médaille. Et nous sommes confrontés à une déconnexion entre le secteur financier en rouge ici et l’économie réelle en vert. Vous avez donc ici les cours des actions des plus grandes entreprises américaines en rouge, et les bénéfices de ces mêmes entreprises. Et ce que vous voyez ici est simplement une déconnexion, qui est due à quoi ? A la politique monétaire des banques centrales. Elles injectent une énorme quantité d’argent dans le secteur financier, en espérant que le secteur financier accordera des prêts à l’économie réelle. Ce n’est pas vraiment le cas. Et au lieu d’observer réellement une inflation dans l’économie réelle, qui pourrait venir, mais aujourd’hui, toujours calme, nous avons observé une inflation dans le secteur financier, ce qui signifie que les prix des actions augmentent, continuent d’augmenter. Ok, maintenant parlons encore du travail décent et laissez-moi vous donner des exemples très précis de certains traders. M. Jérome Kerviel qui travaillait pour la Société Générale à Paris. Il est allé en prison parce qu’il était accusé d’une perte de 4,9 milliards d’euros en 2007. Et la police a pris ses e‑mails. Je vais vous donner un exemple de ce qu’il a écrit : “Dans une salle des marchés, le mode opératoire idéal se résume en une phrase : savoir prendre le maximum de risques pour faire gagner le maximum d’argent à la banque. Au nom d’une telle règle, les principes de prudence les plus élémentaires ne comptent pas pour grand-chose. Au milieu de la grande orgie bancaire, les traders ont la même considération que n’importe quelle prostituée moyenne. La reconnaissance rapide que le chèque de paie d’aujourd’hui était bon.” Exemple numéro deux, M. Tourre, qui travaillait pour Goldman Sachs et le processus a été organisé à New York contre Goldman Sachs, qui vendait des produits douteux à ses clients. La police a pris ses emails. Encore une fois, je cite : “Il y a de plus en plus d’effet de levier dans le système, donc de plus en plus de dettes. L’ensemble de l’édifice peut s’effondrer à tout moment. Quand je pense qu’il y avait un peu de moi dans la création de ce produit”, le genre de produits dont il parle ici, ce sont les produits dérivés, les paris, “le genre de choses que l’on invente en se disant : et si on créait une machine qui ne sert à rien du tout, qui est totalement conceptuelle et très théorique et que personne ne sait tarifer, ça fait mal au cœur de la voir imploser en plein vol. C’est un peu comme si Frankenstein se retournait contre son inventeur”. Troisième exemple, M. Polk, un ancien trader qui a écrit divers articles dans le New York Times, et je cite : “Non seulement je n’aidais pas à résoudre les problèmes du monde, mais j’en profitais”. Le cynisme. “Lors de ma dernière année à Wall Street, mon bonus était de 3,6 millions de dollars, et j’étais en colère parce que ce n’était pas assez important. J’avais 30 ans. Je n’avais pas d’enfants à élever, pas de dettes à payer, pas d’objectif philanthropique en tête. Je voulais plus d’argent pour exactement la même raison qu’un alcoolique a besoin d’un autre verre : J’étais dépendant.” Donc, en résumé, trois exemples. Le premier se compare à une prostituée, le deuxième à Frankenstein, et le troisième dit qu’il est dépendant. Laissez-moi vous montrer un dernier exemple. Un ancien directeur de Goldman Sachs qui a quitté cette banque et il a expliqué pourquoi. “Aujourd’hui c’est mon dernier jour chez Goldman Sachs. Après presque 12 ans dans cette entreprise. Je pense avoir travaillé ici suffisamment longtemps pour comprendre la trajectoire de sa culture, de ses employés et de son identité. Et je peux honnêtement dire que l’environnement actuel est aussi toxique et destructeur que je ne l’ai jamais vu. Pour exprimer le problème dans les termes les plus simples, les intérêts du client continuent d’être mis de côté dans la manière dont le cabinet fonctionne et pense à faire de l’argent.” Le cynisme. Conclusion, il ne s’agit donc pas seulement de la faillite d’une banque, à savoir Lehman Brothers, mais de la faillite d’un système de finance de casino, dans lequel les dettes, les paris et le cynisme l’emportent sur l’investissement salvateur et la confiance. Ce processus plonge la société dans une crise permanente. Les institutions “too big to fail”, donc les grandes banques, une trentaine de grandes banques et les fonds spéculatifs, d’ailleurs, bénéficient de toutes sortes d’avantages et de garanties, donc des garanties de l’État essentiellement, qui contrastent fortement avec les principes du travail qu’elles proclament. Et enfin, il y a évidemment des solutions, parce que je veux que tout le monde puisse dormir ce soir. Et là, je veux conclure sur une note positive. Les solutions sont nombreuses. Par exemple, pour s’assurer qu’il n’y a pas de produits financiers toxiques, un processus de certification serait utile. C’est le cas dans la plupart des branches des secteurs : industrie automobile, industrie pharmaceutique, pourquoi pas dans l’industrie financière ? Et cetera. Microtax, nous en avons parlé. Microtax sur les paiements électroniques, point 6. Le volume des transactions électroniques est tellement énorme que la microtaxe suffirait à se débarrasser de diverses taxes. Les cours d’économie et de finance devraient être adaptés. Je veux dire que nous devrions tirer les leçons de ce qui s’est passé en 2008, nous, je veux dire les professeurs, de ce qui s’est passé en 2008 et après. Si vous comparez le programme des cours, en gros 2006, 2007, 2008, et maintenant, vous verrez des différences, mais pas assez. Il est donc de la responsabilité des professeurs de s’assurer que nous tirons des leçons. Enfin, la séparation des banques de détail et d’investissement. Le président Roosevelt a introduit en 1933 la loi dite Glass-Steagall, afin de séparer, une fois encore, les banques d’investissement des banques de détail. Et cela a fonctionné, car nous avons eu beaucoup moins de crises bancaires entre, en particulier après la Seconde Guerre mondiale, et 1999. Cette loi a été abrogée par le Président Clinton, malheureusement. Merci de votre attention.
- MIRJAM BEIKE : Merci beaucoup, Professeur. Je veux lire le dernier commentaire du chatbox, parce que c’est exactement ce que je pense. M. Somers dit : “Merci pour cette présentation très intéressante et choquante”. Il y a donc beaucoup de nouveau contenu et c’est assez choquant. Merci. Maintenant, j’invite les participants du webinaire à poser des questions. Nous avons déjà trois questions dans la boîte de questions-réponses, donc je vais commencer doucement avec elles. Mais vous êtes invités à ajouter d’autres questions ou commentaires, et nous y viendrons. La première question vient d’Isabel Smith, et elle demande : “Avez-vous de l’espoir dans le travail de Fairphone et de la technologie équitable ?” Qui souhaite répondre, ou dire quelque chose ?
CRISTINA DURANTI : Nous connaissons le travail de Fairphone parce qu’ils sont l’un des acteurs en RDC. Ils s’efforcent de rassembler tous les acteurs pour améliorer la responsabilité de la chaîne d’approvisionnement des batteries. Je dois dire que je suis personnellement un peu sceptique car en l’absence d’un partenariat solide avec les organismes publics qui doivent être pleinement engagés pour faire respecter les règles d’une part, mais aussi pour fournir des alternatives décentes, d’autre part. Ce que cette opération peut faire, c’est travailler sur les symptômes et non sur les causes, si je puis dire. C’est un concept un peu difficile, mais beaucoup d’opérations qui examinent les normes et la manière de les mettre en œuvre dans les chaînes d’approvisionnement se concentrent sur les symptômes. Nous retirons donc les enfants des mines. Nous mettons les chapeaux sur la tête des mineurs, nous prenons une belle photo et nous nous assurons que dans notre système de chaîne de blocs, le drapeau est présent dans la case à cocher. Mais le problème majeur est que sans infrastructures, sans services, sans systèmes de protection sociale, ces normes ne peuvent être appliquées de manière réaliste.
- MIRJAM BEIKE : Merci beaucoup. Personne d’autre n’a répondu, nous avons donc la question suivante, Mlle Patricia Myriam Isimat demande et dit, “La corruption est le principal problème. Alors quels sont les plans contre la corruption ?” Quelqu’un veut faire un commentaire ? Ok, alors peut-être que nous y reviendrons plus tard. Donc il y a un commentaire, il y a un commentaire. “Merci beaucoup au Professeur Chesney pour cette contribution très intéressante. Il reste beaucoup à faire, et je me demande si, au moins en Suisse, la FINMA sera à la hauteur de sa responsabilité ?”
- MARC CHESNEY : Je suis désolé, c’est quoi F‑I-N-M‑A ?
- MIRJAM BEIKE : Je ne sais pas, FINMA ? Je ne sais pas… Vous êtes muette.
- MARC CHESNEY : Désolé, FINMA. J’espère. Mais ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui parce que la FINMA devrait vérifier la qualité de ces produits financiers, mais elle permet quand même la diffusion de ces produits aujourd’hui. Donc il y a des produits financiers, il y a des produits financiers toxiques aujourd’hui que les clients peuvent trouver et qui leur font perdre beaucoup d’argent. La FINMA devrait donc être beaucoup plus active dans ce domaine et vérifier si oui ou non ces produits, ce qu’ils signifient, s’ils sont utiles pour l’économie, pour la société. Si oui, ils devraient être autorisés. Si non, ils ne devraient pas l’être. Et, vous savez, je veux dire, même chose pour les médicaments. Si nous sommes confrontés à des médicaments toxiques, il est évident qu’ils devraient être interdits et il devrait en être de même pour les produits financiers. Mais ce n’est pas le cas, malheureusement.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Nous avons une autre question. “Je crois que les populations locales ont besoin d’une certaine assistance juridique pour les informer de leurs droits et les aider à négocier les conditions de travail, afin qu’elles ne soient pas exploitées par des entreprises sans scrupules. Comment pouvons-nous faire en sorte qu’une telle assistance puisse être fournie ?”
CRISTINA DURANTI : Juste brièvement, Mirjam, cela fait définitivement partie de ce que nous faisons et de ce que font les autres ONG. C’est un élément clé de notre intervention pour éduquer les gens sur leurs droits en tant que citoyens et en tant que travailleurs.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Et je pense que vous en avez déjà parlé, Cristina, parce que vous fournissez ce service, vous savez ? Les ONG le font, mais bien sûr, c’est aussi un problème systémique. Maintenant, il y a la question suivante, “Est-ce qu’Andrea Marchesani pourrait réagir du point de vue du Vatican à la présentation du Professeur Chesney, en nous donnant un aperçu de l’enseignement social à ce sujet ?”.
ANDREA MARCHESANI : C’est un plaisir et je voudrais citer, je voudrais mentionner que dans l’encyclique Caritas in veritate de Benoît XVI, il y avait de nombreuses parties sur cette question des problèmes de dérégulation et d’anarchie, si je peux utiliser ce mot, c’est-à-dire dans le système financier. En 2018, mon dicastère, le Dicastère pour le développement humain intégral, en collaboration avec la Congrégation pour la doctrine de l’Église, a publié un document, dont le nom latin est Oeconomicae et Pecuniarie Quaestiones. Et il y a un chapitre sur ce sujet. Et si je peux me permettre, nous pouvons synthétiser en disant que… Cela commence par, comme je l’ai déjà dit, l’argent est un bon instrument pour les libertés et pour élargir les possibilités de chacun, mais il peut facilement se retourner contre les hommes. Ainsi, la dimension financière du monde des affaires, avec l’accès à la bourse des entreprises, peut avoir des conséquences négatives. La richesse virtuelle, simplement caractérisée par une transaction spéculative, attire en effet des quantités excessives de capitaux détournés de la circulation au sein de l’économie réelle. L’accumulation de capital transforme progressivement le travail en instruments et l’argent en main. Le résultat est la propagation d’une culture du gaspillage, qui marginalise de grandes masses et les prive d’un travail décent. Donc, en gros, je ne peux pas ajouter grand-chose sur cette partie du Pape. Je ne veux pas faire de comparaisons, mais le professeur Chesney et le magistrat de l’Église se sont exprimés sur cette question à de nombreuses reprises dans l’histoire. Et depuis la première encyclique de Léon XIII, le Rerum novarum et tous les documents sociaux de l’Église. Nous pouvons concentrer tout ce phénomène moderne, comme les phénomènes que nous avions avant, il y a deux siècles, comment ils correspondent à la même logique. Aujourd’hui, je voudrais dire que je vois qu’il y a une escalade du pouvoir, non seulement à cause de la technologie, mais aussi parce que beaucoup de choses ne sont pas réelles et sont dans le Web, sont dans un système que vous ne pouvez pas toucher. Et si avant cela, les problèmes étaient dans l’économie réelle, aujourd’hui nous assistons à un autre… À un phénomène différent qui est beaucoup plus puissant et beaucoup plus difficile à contrôler.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Il y a une autre question pour le professeur Chesney, “Revenu potentiel des micro taxes sur les transactions. Qu’y a‑t-il de nouveau ? Pourquoi n’est-il pas mis en œuvre ? Parce que la discussion à ce sujet n’est pas nouvelle”.
- MARC CHESNEY : Précisément, c’est nouveau. C’est nouveau. Cette énorme quantité de transactions n’existait pas il y a un siècle, ni même il y a 50 ans. C’est nouveau. Il correspond à 150 fois le PIB. C’est donc quelque chose de nouveau, disons que ça a commencé il y a 30, 40 ans, quelque chose comme ça, avec ce qu’on appelle la financiarisation de l’économie, c’est-à-dire que le secteur financier est en mesure de prendre le pouvoir et c’est quelque chose de nouveau, ce n’était pas le cas il y a 200 ans. Donc d’imposer sa logique à l’économie et à la société. C’est donc nouveau parce que, encore une fois, ce volume est énorme et parce que ce n’est pas ce qu’on appelle la taxe Tobin, les gens en ont peut-être entendu parler parce qu’ici, avec Tobin, l’idée était de se concentrer sur des transactions spécifiques, sur les transactions boursières ou les transactions en devises. Ici, l’idée de la microtaxe est de considérer toutes les transactions électroniques sans exception. Donc, entre les banques, avec les clients, si vous allez au restaurant, chez le coiffeur ou autre, au distributeur, tout est soumis au même taux, 0,1 %, quelque chose de très petit, la microtaxe. Donc c’est simple. Je veux dire, techniquement très simple, politiquement, très délicat, très délicat, car évidemment si la plupart des banques pouvaient se mettre d’accord, je dis bien pourraient se mettre d’accord car nous avons écrit dans le document que les banques seraient payées pour un tel travail. Donc, si elles collectent de l’argent, de l’argent des impôts, elles devraient garder un pourcentage donné, donc elles seront payées. Donc pour les petites banques, cela pourrait avoir du sens. Pour les grandes banques, ce serait différent, car elles dépendent de ce qu’on appelle le trading à haute fréquence, ce qui signifie qu’elles achètent et vendent des actions à la milliseconde ou à la microseconde, pour être clair. Il est donc évident qu’elles paieront plus d’impôts, qu’elles paieront plus d’impôts que nous avec une microtaxe, mais la plupart des gens et des entreprises paieront moins. Ce serait donc un avantage pour, disons, 99 % de la population et des entreprises. Mais le 1 % restant, ici nous parlons des institutions trop grosses pour faire faillite, est évidemment contre ce genre d’idée. Merci.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Je tiens à vous informer que Cristina Duranti a dû partir. Nous avons quelques questions concernant Kolwezi, mais c’est à nouveau lié à la situation de la corruption. “Un travail décent à Kolwezi, dans un pays où la plupart des choses ne fonctionnent pas, où la corruption est le principal problème, comment améliorer les conditions de travail dans cette situation avec une telle corruption ?”. Je veux donner une contribution ou une idée, parce que je vivais dans un pays où la corruption est élevée et je n’y étais pas habitué, et j’ai eu une explication culturelle, que j’ai trouvée très intéressante. C’était un pays, donc, on pourrait dire 500, 600 ans. Maintenant il y avait une occupation, il y avait une dictature. Donc les gens ont appris à ne pas faire confiance au gouvernement. Donc pour survivre, ils devaient faire confiance à la famille. Et si le gouvernement d’un pays passe à la démocratie, cela crée des conflits, parce qu’après tant de temps, 500 ans, vous ne pouvez pas changer la mentalité, vous ne pouvez pas changer certaines personnes. Mais si le gouvernement n’est pas de notre côté, je pense que cela peut causer de la corruption. C’est donc une idée que j’ai sur le sujet, mais je ne donnerais pas de conférence. Je ne sais pas si vous pouvez vous identifier à cela, ou si cela peut vous aider à réfléchir à la façon de traiter la corruption dans ces pays pauvres. Alors. Si ce n’est pas le cas, ce n’est pas grave. Je pense que mon approche pourrait être intéressante pour certaines des personnes qui s’interrogent sur la corruption. Ensuite, nous avons une question. “Je ne suis pas surpris que le pape François ait écrit “Cette économie tue”, car nous sommes tous complices de ce système toxique puisque nous utilisons les banques, et ne posons peut-être pas de questions à notre système bancaire.”
- MARC CHESNEY : Oui, nous devrions poser des questions et essayer de comprendre les problèmes, évidemment, parce que nous sommes des citoyens et nous avons aussi la responsabilité en tant que citoyens, d’essayer de comprendre la complexité. Le système est trop complexe. Nous devons le simplifier, évidemment.
- MIRJAM BEIKE : Une question sur le changement systémique. “A un certain moment de l’histoire, l’évolution de l’économie a dévié de telle sorte qu’aujourd’hui l’esclavage moderne et le travail indécent sont possibles et, d’une certaine manière, rentables. Les clients sont habitués à des produits bon marché, et les personnes ayant peu de revenus peuvent ne pas avoir les moyens de payer des produits issus du commerce équitable. Les entreprises de taille moyenne peuvent avoir besoin de réduire leurs coûts de production et/ou de main-d’œuvre pour rester compétitives. Elles peuvent se trouver dans un dilemme de ne pas être en mesure d’offrir un travail décent. Quel serait le point de départ pour changer l’ensemble du système ?”
BRIAN ISELIN : C’est comme demander la réponse à la vie, à l’univers et à tout. C’est la très grande question. 42, je pense, est la bonne réponse, d’ailleurs. S’attaquer à cette question est exactement la raison pour laquelle j’ai créé Slavefreetrade. Il y a 20 ans, lorsque j’ai travaillé sur un cas d’esclavage, sur mon premier cas de travail forcé et de travail des enfants, c’était un garçon de 12 ans qui avait reçu une balle dans la tête et qui avait été jeté par-dessus bord d’un bateau à crevettes. L’une des choses intéressantes que j’ai découvertes au cours de cette enquête, c’est que les crevettes du bateau sur lequel se trouvait le garçon, lui et deux de ses amis, ont été abattus pour ces crevettes, les crevettes vendues au premier point de vente au même prix que les crevettes d’un bateau voisin où il s’agissait d’un bateau familial et où tout le monde était bien traité. Il n’y a pas de différenciation du tout premier point de vente jusqu’à la fin. Les produits sans esclave et les produits fabriqués par des esclaves n’ont pas un prix différent. Le marché, la chaîne de valeur, est complètement aveugle aux conditions dans lesquelles les produits sont fabriqués. Il ne s’agit donc pas de bon marché. Ce n’est pas une question de prix. Un foulard d’une marque de luxe haut de gamme peut être fabriqué avec autant de travail forcé ou de travail des enfants qu’un foulard à 14 dollars. Elle a juste une majoration de 4 000 %. Donc on ne parle pas de… Donc je dirais qu’il faut se détacher de l’idée que c’est une question de bon marché. Un T‑shirt à 14 dollars reste un T‑shirt à 14 dollars si tous les acteurs de la chaîne de valeur reçoivent ce qu’ils devraient recevoir. Si vous décomposez la contribution à la valeur du T‑shirt à 14 dollars en coûts de main-d’œuvre impliqués dans sa fabrication, vous pourriez tripler les salaires des personnes qui fabriquent le T‑shirt sans que cela ait un effet évident sur le prix de 14 dollars à l’autre bout. Et considérons également que sur ces 14 dollars, 61 % vont à H&M, Zara ou qui que ce soit. Donc même s’ils devaient se réduire à 60,2 %, vous pourriez encore tripler les salaires de toutes les personnes impliquées dans la fabrication de la chemise. Il ne s’agit donc pas uniquement de produits bon marché, ce n’est pas un gros problème. Ce que nous devons faire, c’est encourager le rapprochement entre les droits de l’homme et les résultats, afin que ces derniers dépendent des droits de l’homme, car sinon, nous nous retrouvons dans la même situation que dans le secteur financier, à savoir que les gens n’ont pas de sens moral. Et à moins que nous ne fassions dépendre ces résultats des droits de l’homme, ils ne changeront pas. Je veux dire, vous regardez les banquiers qui font les choses dont le professeur Chesney parlait. Je veux dire, ces gens sont de la merde. Ils font des choses affreusement toxiques. Ils ont perdu leur boussole morale. Ils n’ont aucune conscience. Ce qui les intéresse, c’est l’argent. Donc nous devons oublier le bien intrinsèque. Nous ne pouvons pas parler du bien intrinsèque à ces gens. Ce que nous devons dire, c’est que votre résultat net, parce que nous avons des PDG, des actionnaires, une législation gouvernementale, des consommateurs, des sociétés de gestion des investissements, nous avons toutes ces parties prenantes, disant que les droits de l’homme font maintenant partie de votre résultat net. Faites-le bien ou nous n’achèterons pas chez vous. Les organismes de passation de marchés publics ont un rôle clé à jouer dans le même domaine, n’est-ce pas ? La seule chose que nous puissions faire est donc de réunir tous ces acteurs de la demande, ces publics cibles, les investisseurs, les entreprises de marchés publics, les agences gouvernementales, les cabinets d’avocats, les consommateurs, afin qu’ils fassent tous leur part pour stimuler la demande. Nous devons unir la demande parce qu’à l’heure actuelle, la demande est complètement désagrégée, même d’un consommateur à l’autre. La demande est complètement agrégée. H&M, ils font un excellent travail de division des consommateurs. C’est ce qu’ils font. Cela fait partie de leur modèle économique, de sorte que les consommateurs ne se rassemblent jamais contre H&M en nombre suffisant pour faire la différence. C’est pourquoi, en réunissant tous les acteurs susceptibles de formuler des demandes à ce sujet, et c’est la même chose dans le monde de la finance, ce sera la seule chose qui créera le changement, pour être franc. Rapprocher les droits de l’homme et le résultat net, de sorte que le résultat net dépende des performances en matière de droits de l’homme. C’est là que nous devons aller. Et c’est énorme, non ? C’est… 42.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Je ne sais pas pourquoi, mais j’ai un autre nom maintenant, mais je suis ici et comme ça fonctionne. Alors maintenant il y a une autre question, et elle dit ” En Allemagne, il y a eu une initiative politique appelée Lieferkettengesetz, c’est-à-dire une loi de protection pour les chaînes d’approvisionnement. Pensez-vous que cela pourrait être un modèle pour d’autres changements ?” Oui, Brian. Muet ?
BRIAN ISELIN : Nous y voilà. Oui, la nouvelle loi allemande sur la diligence raisonnable de la chaîne d’approvisionnement est sortie, la France en a une depuis longtemps, la Norvège vient d’en faire une. De nombreux pays sont en train de les développer. C’est une partie très importante de l’un de ces, ce que j’ai mentionné auparavant, moteurs de la demande, n’est-ce pas ? Donc, soudainement, les 90 % d’entreprises qui, selon le gouvernement allemand lui-même, ne respectent pas les droits de l’homme, ont maintenant une loi que le gouvernement allemand peut potentiellement utiliser pour les pousser dans la bonne direction. Les personnes qui, au sein des entreprises, souhaitent un changement, nous disent souvent qu’une loi est nécessaire parce qu’elles n’ont pas le pouvoir de faire évoluer l’entreprise. Ils pointent du doigt et disent : “Nous avons besoin d’une loi parce que nous pouvons alors aller voir notre PDG et lui dire qu’il y a une loi”. Ils ont donc besoin d’un soutien au sein de l’entreprise pour pouvoir la faire évoluer. Les actionnaires peuvent commencer à se mobiliser autour de lois comme celle-ci. Les scandales et la mauvaise publicité découlent de l’existence d’une loi, et la violation d’une loi est beaucoup plus grave qu’une violation de l’éthique. La loi est donc importante en tant que pièce unique d’un très grand puzzle de demande qui force les entreprises dans la bonne direction. C’est ce que je dirais à ce sujet.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Je pense qu’il est temps de conclure. Je voudrais… Il y a deux questions et je pense que ce sont des questions du monde et peut-être que chacun d’entre vous pourrait dire une phrase pour y répondre parce que c’est une réponse à tous les problèmes. Donc la première question est : “Que doit-il se passer, et où sont les obstacles ?” Une phrase, celui qui veut commencer.
BRIAN ISELIN : Ok, laissez-moi intervenir. La demande est complètement non financée et sous-financée. 98, 99% de l’argent consacré à l’esclavage moderne et à la traite des êtres humains est dépensé pour des initiatives liées à l’offre, pour essuyer le lait renversé. Il faut le faire dans tout régime de traitement, mais en fin de compte, nous ne guérissons rien en faisant cela. C’est vers la demande qu’il faut se tourner et elle n’est pas du tout financée. J’ai dû financer Slavefreetrade avec mes propres économies, c’est tout simplement ridicule.
- MIRJAM BEIKE : Merci.
ANDREA MARCHESANI : Si je peux me permettre. Comme Brian l’a dit, la demande. Donc le problème de la demande est que nous devons changer le paradigme et donc nous avons besoin d’éducation. Comme je l’ai déjà dit, le remède est l’éducation. C’est l’évangélisation dans une perspective catholique et l’autonomisation de la famille. Parce que si nous donnons du pouvoir à la famille, nous donnons du pouvoir aux travailleurs et à travers la famille passe l’éducation. Et donc le système, tout est lié et ce n’est pas une chose facile. Mais nous devons y travailler, je pense.
- MIRJAM BEIKE : Merci. Alors, d’accord. Vous êtes en sourdine.
- MARC CHESNEY : L’argent doit être perçu non pas comme une fin en soi, mais comme un moyen d’être heureux, mais pas comme une fin en soi.Sinon, c’est une maladie.
- MIRJAM BEIKE : Gabriele, une conclusion ? Oui.
GABRIELE SPINA : Je ne sais pas si je peux répondre à cette question, parce que mon niveau est très, très bas, mais je pense, comme le dit Andrea, que c’est très important, la culture, la responsabilisation des gars, le consommateur critique. Si vous devez dépenser de l’argent, comment vous pouvez le dépenser. Bien sûr, cela ne change pas la situation, la situation financière que Marc a expliquée, bien sûr, mais dans notre petite vie, comprendre un peu de ces mécanismes est important pour être conscient et essayer dans nos petites activités de changer un tout petit morceau.
- MIRJAM BEIKE : Merci.
ANDREA MARCHESANI : Si je peux ajouter une chose, je voudrais juste dire que le travail est pour l’homme, et pas l’homme pour le travail. Et donc ce que nous voyons aujourd’hui, c’est que beaucoup de gens sont, qu’ils sont volontairement contraints par eux-mêmes ou par leur travail, parce qu’ils veulent atteindre quelque chose. Et nous pouvons appeler cela réalisation de soi, succès, tout cela. Mais ce que nous appelons cette vie, c’est la réalisation à travers les relations avec les autres, pas à travers nous-mêmes et pas à travers notre travail.
- MIRJAM BEIKE : Merci.Et sur ce, je passe la parole à Michel.
MICHEL VEUTHEY : Bonsoir. Je voudrais vraiment exprimer ma gratitude à tous les intervenants et participants. Nous avons eu jusqu’à 122 participants de plus de 45 pays. Je remercie tout particulièrement Yves Reichenbach, notre webmaster, ainsi que mon assistante à Genève, Clara Iseppi, et mes assistantes à Nice, Pepita Alemany et Romane Diez. Un enregistrement vidéo de ce webinaire sera disponible dans quelques jours sur notre site www.adlaudatosi.org. Avec des sous-titres en anglais, français, allemand, italien, russe, espagnol et chinois. Et n’hésitez pas à partager le lien. Notre cours en ligne en anglais sur la traite des êtres humains destiné aux assistants est en passe d’être traduit en français. Je vous souhaite le meilleur et vous invite à nos prochains webinaires en septembre sur les droits de l’homme et la traite des êtres humains, en octobre sur les réfugiés et la traite des êtres humains, en novembre sur les migrants et la traite des êtres humains, et en décembre sur les religions contre la traite des êtres humains. Nous envisageons également d’organiser d’autres webinaires sur des questions spécifiques liées à la traite des êtres humains. Nous vous tiendrons informés. Je vous remercie encore une fois. Et meilleurs vœux à tous. Au revoir maintenant.